|

Carrefour des femmes de Lachute

Par Martine Laval


Une journée émouvante, dans le souvenir

Pour clore le dossier des 12 jours d’action pour lutter contre la violence faite aux femmes, voici le résumé de l’émouvante journée qu’avait organisée l’équipe du Carrefour des femmes de Lachute le jeudi 11 décembre, et le discours documenté et senti de Carole Girardeau, responsable du projet éducatif et des actions collectives de l’organisme.

Devant une soixantaine de personnes présentes, femmes et hommes, citoyens, dignitaires et défenseur-e-s des femmes de la ville de Lachute, Mme Girardeau s’est exprimée en ces mots pour faire valoir sa cause et éveiller les consciences.

«Merci d’avoir décidé de vous impliquer aujourd’hui dans l’action, afin d’offrir votre solidarité envers toutes les femmes, et permettre de réfléchir collectivement à la violence faite aux femmes et à l’engagement social nécessaire pour que cela s’arrête, a-t-elle  débuté en introduction. J’ai voulu, en cette journée, partager les différentes dénominations de l’ensemble des victimes touchées par un événement de violence.

Par définition, poursuit Carole, le mot victime se dit d’une personne ou d’un groupe qui souffre de l’hostilité de quelqu’un. C’est une personne qui subit soit un dommage, un abus, un préjudice moral, les conséquences d’un événement dramatique ou de violence. En ce sens, les événements tragiques de l’école Polytechnique a fait son lot de victimes.

Il y a eu les victimes directes, soient les jeunes femmes décimées, les personnes blessées physiquement, celles et ceux qui se sont suicidés suite à cette journée. Il y a les victimes indirectes, c’est-à-dire les parents, conjoints, ami-e-s des victimes directes ainsi que les témoins visuels du drame. Nous toutes et tous, sommes des victimes collatérales. Nous ne sommes pas apparentées aux victimes directes, mais nous avons éprouvé de la souffrance et de l’incompréhension. Les femmes particulièrement et collectivement, ont subi des préjudices moraux causés à leur genre.

Il y a aussi les victimes non-reconnues par des pairs et par le système judiciaire. Je considère notre première invitée comme telle. Lors des événements de 1989, le directeur de l’école Polytechnique l’a pourtant reconnue comme  la 15e victime, mais par le langage de la justice, elle apprend qu’elle est une victime collatérale, donc inadmissible pour recevoir de l’aide et des services. Aujourd’hui, elle affirme avoir dépassé le stade de la victime et être capable désormais d’envisager l’avenir avec et pour elle-même. Bien des ressources en elle, la force, la foi, le courage l’accompagnent. Le 6 décembre 1989, à Montréal, des mères découvrent en état de choc, que l’arme à retardement de l’envie, vient d’abattre leurs 14 filles en plein vol. Une mère seule, apprend sans y croire, que son fils est l’auteur du massacre. Je vous demande d’accueillir avec grand respect, la mère de Gamil Gharbi devenu Marc Lépine, Madame Monique Lépine » présente Carole Girardeau.

C’est ainsi que durant plus d’une heure, Monique Lépine, accusée de tous les maux de son fils pendant des années et encore aujourd’hui aux yeux de certains, a raconté son long cheminement pour s’en sortir. «Mon fils s’est suicidé, emportant avec lui ses secrets, et me laissant tout l’odieux de ses gestes» raconte cette femme brisée.

Pendant des années elle s’est cachée, honteuse, coupable, emplie d’amertume et d’incompréhension, salie de ce nom que son fils avait choisi de prendre pour se départir de celui de son père qui les avait abandonnés après les avoir marqués, sa mère, sa sœur et lui, au fer rouge de la violence conjugale.

Écouter cette femme raconter son parcours avec calme et sagesse, son cheminement pour s’en sortir était touchant. L’entendre déclarer que cette conférence qu’elle nous offre est le dernier témoignage public ou médiatique qu’elle accordera, semble une décision juste et méritée pour cette femme qui à 77 ans, considère qu’elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour se faire pardonner d’avoir enfanté un criminel. (Lire son livre Vivre. Dix- neuf ans après la tragédie de la Polytechnique, Monique Lépine, la mère de Marc Lépine se révèle. écrit par Harold Gagné aux éditions Libre Expression)

Puis ce fut le témoignage d’Annie L. auteure du livre La guerrière. Le combat d’une femme pour sa liberté. Victime de violence conjugale pendant deux ans, elle a témoigné de son expérience et de son message d’encouragement et d’espoir envers les femmes victimes de brutalités physiques et morales.

Lyne Monette, présidente de l’AFEAS – Association féminine d’éducation et d’action sociale – de Lachute et 2e vice-présidente de l’organisme régional Montréal, Laurentides, Outaouais, a ensuite exposé la mission de cet organisme qui existe depuis 1960 et permet à notre société d’évoluer vers l’égalité et le respect de toute personne.

Elle a expliqué son intérêt, alimenté par un processus démocratique de participation, de formation et de prises de décisions du groupe sur des propositions qu’elles soumettent ensuite aux différentes instances gouvernementales, et du partage de connaissances et d’opinions avec plus de 10000 femmes à travers le Québec, pour faire en sorte que toutes ensemble, l’AFEAS permette à notre société d’évoluer vers l’égalité et le respect de toute personne. Lyne Monette a présenté un résumé des positions prises par le passé et  de l’évolution des services que celles-ci ont aidé à améliorer et à mettre en place pour de meilleures conditions de vie. www.afeas.qc.ca

«La violence à l’égard des femmes au Canada est un problème social grave qui semble endémique, reprend Carole Girardeau en guise de conclusion. Bien que le taux de crimes violents soit généralement à la baisse dans ce pays, le taux de crimes violents à l’égard des femmes, y compris le taux de féminicides reste constant. Le féminicide est perpétré contre une personne en raison de son sexe. Il est souvent réduit à un simple assassinat de femmes au sein d’une relation de couple. Cette violence est normalisée au nom du patriarcat.

Je crois qu’il y a profondément quelque chose dans l’inconscient de l’homme violent, et c’est le fait que l’on puisse s’attaquer aux femmes, comme ça!» déclare Carole Girardeau. Même quand on connaît la longue et sordide histoire de la violence à l’égard des femmes, le constat admis de la persistance de ces violences, qu’elles soient sexuelles, conjugales multiples, misogynes ou sociétales est un dur rappel à la réalité. Un autre fait, tout aussi affligeant, c’est qu’il incombe aux femmes de documenter les brutalités et les bestialités dont elles sont victimes pour tenter d’obtenir des mesures de protection.

Nous l’avons clairement vu récemment avec le mouvement Agressions non-dénoncées et les accusations portées contre de nombreux hommes connus. La classe sexuelle féminine vit des violences sur une base quotidienne. Cela doit s’arrêter! Par ce mouvement de dénonciations, est-il possible qu’un changement ait commencé à opérer dans l’esprit de plusieurs hommes? Ils sont nombreux à se dire extrêmement surpris de l’ampleur et des conséquences du problème social. Il y a pourtant bien longtemps que les femmes dénoncent cet abus de pouvoir… mais les féministes ne sont pas sérieuses, aux yeux de certains.

Présentement, avec ce raz-de marée de dénonciations massives, il faut saisir l’opportunité pour pousser le message plus loin. Il faut encourager la participation des hommes et surtout des jeunes hommes. Il leur faut se remettre en question de façon sérieuse. Cette nouvelle marche à franchir est plus élevée et risque de susciter encore plus de résistance
, mais il faut relever le défi et poursuivre le travail de conscientisation. Nous le méritons. Ensemble, faisons boule de neige car il y a de l’espoir! » conclut l’organisatrice de la journée.

C’est en se recueillant devant une table où étaient déposées 14 roses blanches et allumées 14 bougies: que l’assistance s’est recueillie en souvenir des 14 victimes de la Polytechnique… pour ne pas oublier et continuer de poser des actions qui permettent de lutter contre la violence faite aux femmes. En souvenir d’elles, nous continuerons de militer pour nous toutes, pour nos filles, pour nos sœurs!

NOUVELLES SUGGÉRÉES

0 Comments

Submit a Comment

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *