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Ta boîte-à-lunch et ton pare-balles

Par Josée Pilotte

«Lou, as-tu bien ta boîte-à-lunch?

– Oui M’aman

– Lou, as-tu bien rentré ton polo dans tes pantalons?

– Oui M’man

– Lou, as-tu bien pris ton Ritalin?

– Oui, M’man

– Bon. N’oublie pas de mettre ton gilet pare-balles avant de sortir…»

 

Je déraille? Pantoute: tu mitrailles.

 

Imaginez-vous donc que depuis quelque temps, dans les écoles du Québec on simule des attaques de tireurs fous, dans le but, dit-on, de prévenir l’ir-ré-pa-ra-ble. Oui, vous avez bien lu: prévenir l’irréparable. On est rendus là. Nous. Et ce n’est pas anecdotique: déjà 5% des élèves d’écoles primaires auraient participé à cette simulation, incluant un exercice de confinement… et la SQ souhaite que toutes les écoles du Québec s’y soient prêtées d’ici l’an prochain. Donc: on barricade nos enfants un moment, avec en arrière-plan l’idée qu’un tireur-fou sévit dans leur école. Question de «prévenir» et d’apprendre à réagir. Au cas où. C’est comme le film La vita è bella (où un père juif, sous le régime nazi, transforme l’horreur de la réalité en un grand jeu pour son fils afin qu’il ne soit pas traumatisé par les événements). Mais à l’envers. Nous, nous transformons une cour de récréation en champs de mines. L’horreur ne devient plus le jeu, comme dans le film de Benigni; c’est le jeu qui devient un terrain possible de l’horreur. Et du traumatisme.

 

Comprenez bien: on ne parle pas ici des anodins «exercices d’évacuation» lors des simulations d’alerte d’incendie de notre enfance… Non. Maintenant on dit à nos enfants: «Code rouge. Barrez-vous (ou plutôt: barricadez-vous)… y’a un tireur fou dans l’école.»

 

L’ennemi n’a plus de visage, comme c’était le cas dans le temps (le Communiste, le Bonhomme Sept-Heures, les Loups-

garous, etc…); ou plutôt, il en a de multiples: il peut être assis à côté de toi en classe… Quoi?! 52% à l’exam’?! Et paf!, David pète les plombs et sort sa mitraillette. Où sont passées les pancartes

«Maison Enfant-Secours», affichées aux fenêtres de mon enfance?…

 

Nous, peuple québécois, nous les pacifistes/casques bleus de la planète, sommes officiellement entrés dans le cercle des paranos-débilos-profonds. Non seulement nous annonce-t-on 500 fois par jour que le cancer viendra à bout des plus optimistes d’entre nous, mais du même souffle que le collier de noisetier de Marcel

Leboeuf pourrait nous sauver la vie! On capitalise sur nos angoisses. Et on engraisse les charlatans. Comme les marchands d’armes.

 

Dire qu’il fut une époque où les «lieux de savoir» de nos sociétés étaient reconnus comme des «zones neutres», dans lesquelles les forces de l’ordre ne pénétraient jamais afin de ne pas nuire à la sérénité de l’apprentissage. Que nous sommes loin de ce temps: aujourd’hui, à trop vouloir l’éviter, on y invite la Violence. Déjà de nombreux campus universitaires américains autorisent le port d’arme. Comme ce sera le cas demain, chez nous aussi.

 

Je ne voudrais pas paraître pessimiste mais câline que parfois notre monde est déprimant.

 

On ne montre plus à nos enfants la lumière qui scintille dans la forêt, on préfère leur montrer que la vie, la leur, c’est comme un jeu de Xbox 360: l’ennemi n’est jamais loin. Nous ne les sécurisons pas, ce faisant… nous les aidons à grandir dans la Peur et la Terreur.

 

Mes enfants se moquent de moi parce que je m’arrête pour embrasser un arbre, regarder la lumière, écouter le silence… Je me dis qu’au moins, dans notre monde de fous, il restera un peu de ma folie à moi.

 

 Et j’espère entendre mes fils dire un jour: «Quand j’étais petit, moi ma mère me forçait à boire des jus verts et à embrasser les arbres.»

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