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La bête, de David Goudreault

Par Accès Laurentides

Chronique littéraire

Daniel Giguère – Un premier roman est souvent celui de l’apprentissage. On fait ses gammes, en quelque sorte, comme une façon de créer ses repères, souvent en phase avec les écrivains qui nous ont marqué. On pardonne alors les ressemblances, qui frôlent l’imitation. Le principe « à la manière de… » laisse ses traces. Souvent compréhensible, mais pas forcément justifiable.

D’autres compensent le manque de culture littéraire par des romans centrés sur eux-mêmes et leur vécu, avec l’étonnante prétention de croire qu’ils arrivent avec quelque chose de neuf.
Et puis, il y a les auteurs qui écrivent un premier roman dans un style qui leur est propre et dans une langue qui se distingue par sa force et sa résonance.
Ceux-là retiennent l’attention pour les bonnes raisons, et on peut raisonnablement croire qu’ils couvrent une œuvre à venir.
David Goudreault fait partie du nombre, lui dont le premier roman, La bête à sa mère, paru en 2015 chez Stanké, n’est pas passé inaperçu.
L’incipit, aussi fort que révélateur, déterminera d’ailleurs le ton et la trame narrative du roman. « Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. […] Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics. »
Une forme de mise en abîme s’inscrit dans cette introduction, et à partir de laquelle la descente aux enfers paraîtra toute tracée.
D’abord celle d’un enfant pris en charge par la DPJ après une énième tentative de suicide de sa mère.
Puis, quelques années plus tard, celle de l’enfant devenu adulte, parti à la recherche de cette mère dont il croit retrouver la trace dans un bled perdu, ce qui déterminera alors toutes ses actions, souvent les plus violentes.
Un psychopathe pour qui on n’aura aucune sympathie, mais dont on suivra pourtant la vie, fasciné et révulsé à la fois grâce à un style et une voix très forts, parfaitement en phase avec le personnage.
Ainsi, le narrateur, après avoir expliqué comment il a tué un chat (un parmi d’autres), aura cette réflexion cinglante. « L’incohérence crasse du petit monde m’exaspère. Oh non, il a tué un chat! So what, calvaire! On se bourre la face d’animaux morts à longueur d’année. »
Âmes sensibles s’abstenir. Pour les autres, un roman fort qui a permis de mettre la table au deuxième d’une trilogie à compléter.
La bête et sa cage, sorti celui-là au printemps 2016, nous entraîne cette fois dans l’unité psychiatrique d’une prison, « l’aile des coucous », où le narrateur, toujours le même, est enfermé aux côtés d’une bande d’assassins composée, entre autres, de Bizoune, Molosse, Papillon, Pédo et Philippe le Philippin.
Un milieu carcéral bigarré, où la violence au quotidien confirme que la sélection naturelle peut également s’appliquer à l’être humain quand elle devient le seul mode de survie possible.
Agressé sexuellement à répétition, et ne comprenant rien aux jeux de pouvoir, notre petit caïd n’a pas moins pour ambition de monter en grade et devenir un jour le chef de l’aile.
Il accepte tout ce qu’on lui demande pour parvenir à ses fins, notamment le meurtre d’un codétenu.
À cela s’ajoute sa prétendue relation amoureuse avec Édith, une jeune « défavorisée du faciès » comme il la présente, mais surtout l’agente responsable de son dossier, et qui croit possible sa réinsertion dans la société.
Il s’en amourachera rapidement au point d’inventer un amour réciproque, avec les lourdes conséquences que cela peut amener.
Ce deuxième volet confirme le talent de Goudreault, qui maîtrise tout autant le fond que la forme.
Un condensé de ce qui peut arriver entre les murs d’une prison, le tout raconté avec une écriture vive, incisive et particulièrement inventive.
Et malgré les délires du personnage, il lui arrive de glisser quelques réflexions dont la résonance, sans égard à la folie qui amplifie tout, nous laisse songeur.
« À petite échelle, je suis un malade mental, mais avec un peu de perspective, je deviens un symptôme social. Je suis le fruit défendu de votre arbre pourri jusqu’aux racines. »
Vivement le troisième tome.

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