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Ces frontières qui nous échappent

Par stephane-desjardins


Babel

Les frontières entre les peuples ne sont pas que physiques. Elles sont, la plupart du temps, encore plus étanches parce que culturelles et politiques.

Alexjandro Gonzales Inarritu n’a pas intitulé son dernier film **Babel** pour rien. Rappelons que Babel signifie cette fameuse tour sumérienne, citée dans plusieurs traditions orales ainsi que dans la Bible. Cette tour, carrée et non ronde, comme les peintres européens l’ont toujours représentée, était en fait une ziggourat, une sorte de temple religieux en forme de pyramide à étages, dédiée au dieu Mardouk, du temps de la Babylone antique (environ 1900 ans avant J.-C.), qui est aujourd’hui la région de Bagdad. La légende veut que les dieux craignaient que les hommes aient érigé une tour si haute qu’ils puissent partager le Ciel avec eux. Le genre humain, descendant de Noé, parlait alors une seule langue. Les dieux leur ont donc jeté un sort : les hommes se sont mis à parler toutes sortes de langues différentes. Ce qui a transformé l’énorme chantier en inextricable bordel… et précipité sa fin.

Ce sont ce type de barrières qu’illustre le film. Et de brillante façon.
**Babel** raconte trois histoires qui, en apparence, et d’une façon très lelouchienne, n’ont aucun lien entre elles. D’autant plus qu’elles se déroulent sur trois continents et quatre pays: le Mexique, les États-Unis, le Maroc et le Japon. Le film s’ouvre sur le périple touristique d’un couple en déroute, incarné par Cate Blanchett et Brad Pitt. Les deux ont perdu un bébé et se retrouvent perdus dans le désert de la région d’Erfoud, au Maroc.

Un bête incident fera basculer leur vie, et celle de plusieurs autres personnes. Deux jeunes bergers, pour tester la portée d’une arme destinée à combattre les chacals, décident de mettre le car de touristes en joue. Leur intention n’était pas de blesser la touriste américaine qui s’y trouvait. Mais l’événement se transformera vite en incident diplomatique entre le Maroc et les États-Unis.

D’où l’arme provenait-elle? D’un cadeau offert par un chasseur globe-trotter nippon à un guide marocain. Ce riche Japonais, dont le visage rappelle celui du nouveau chef de l’OSM, Ken Nagano, est en deuil de sa femme. Tout comme sa fille, sourde-muette, qui peine à se faire accepter par une société qui négocie déjà mal l’intégration des minorités. La jeune fille cherche l’amour. Elle ne trouvera que déception et douleur.
À la maison de notre couple d’Américains perdus au Maroc (qui cherche désespérément à se sortir du bled perdu pour prodiguer des soins médicaux à la femme, qui perd beaucoup de sang), la nounou mexicaine n’a d’autre choix que d’emmener dans son village les deux jeunes enfants du couple. Car elle est incapable de trouver une gardienne, alors qu’elle doit assister à un mariage. Le retour ne se fera certes pas dans l’allégresse.

On devine le sentiment d’isolement des deux Américains (j’ai visité la région d’Erfoud et, effectivement, ça peut faire penser à la planète Mars pour des Occidentaux). On est facilement interpellé par la grande solitude de la jeune fille japonaise. D’autant plus que son cadre de vie est une ville de plus de 12 millions d’habitants. On est aussi fasciné par le bordel permanent de la société Mexicaine, un joyeux capharnaüm des plus sympathiques. Mais un choc culturel profond pour les deux jeunes Américains.

La force du film de Inarritu est cette puissance d’évocation, constituée par l’utilisation habile de flash-back, du passage d’une histoire à une autre sans avertissement et de la caméra à l’épaule. Celle-ci transforme la narration en faux documentaire. Le spectateur devient ainsi un témoin de la vie quotidienne des gens, dans des environnements que nous n’avons pas la chance de voir souvent au cinéma. Les pérégrinations de la jeune fille (Koji Yakuso) dans Tokyo sont fascinantes: cette ville compliquée, sorte d’organisme vivant et électrique en perpétuel changement, sidère tout visiteur Occidental, comme je l’ai été. La représentation qu’en fait le cinéaste en est une de l’intérieur. C’est une occasion rare pour nous de découvrir la mégapole nippone.

J’ai eu la même impression au Mexique, alors qu’on nous montre un mariage avec ses traditions, anciennes ou baroques. La seule prestation de l’orchestre apporte une magie incroyable à ce film bouleversant, qui consacre ces valeurs universelles de bonté et de fraternité qui unissent les gens, peu importe leur culture. Mais aussi ces incidents, ces préjugés et ces barrières culturelles qui les isolent. Les Américains sont spécialement visés par le cinéaste, qui montre à quel point ces Romains contemporains peuvent se montrer arrogants et insensibles aux réalités des autres peuples.

Mais le cinéaste ne propose pas un film politique. Il ne cherche qu’à illustrer à quel point les problèmes de communication peuvent engendrer la détresse et l’isolement

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