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La chambre verte, de Martine Desjardins

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Chronique littéraire

Daniel Giguère – Avec la parution de son cinquième roman, paru chez Alto au printemps dernier, Martine Desjardins signe à nouveau une œuvre résolument inspirée d’univers gothiques, déjantés pourrait-on ajouter, pour le plus grand plaisir des lecteurs qui, comme moi, l’avons connue et appréciée dès la parution de son tout premier roman, Le cercle de Clara, sorti en 1997, et dans lequel, déjà, on voyait poindre la plume fluide et ciselée d’une auteure avec laquelle il faudrait désormais compter dans le petit monde des lettres québécoises.

L’écrivaine exploite cette fois-ci le thème de la convoitise et la cupidité.
Elles trouveront leur source dans un Montréal résolument engagé vers la modernité à l’aube du vingtième siècle, alors que Prosper Delorme, cultivateur de métier, voit l’occasion unique dans une vie de s’enrichir très rapidement lorsque la Canadian Northern dessine les plans d’une gare autour de laquelle on prévoit construire des clubs de golf, des terrains de baseball, des écoles, des banques, enfin bref, tout ce qu’une ville peut rêver d’avoir.
Or, il se trouve que ce beau projet doit obligatoirement passer sur les terres de Prosper. Après d’âpres négociations, le voilà désormais riche, et résolument décidé à transmettre à sa progéniture l’amour qu’il entend consacrer au dieu argent.
Chronique d’une cupidité ordinaire? Absolument pas. Commençons par la narratrice du roman, et ce n’est pas n’importe qui.
L’histoire nous est en effet racontée par l’auguste demeure de la famille Delorme. Un tantinet psychopathe, elle n’hésitera d’ailleurs pas à intervenir dans le funeste destin de ses propriétaires lorsqu’elle y trouvera son compte, ce qu’elle fera à plusieurs reprises et sans le moindre remords.
Grâce à elle, on entre très rapidement dans l’univers obsessif, voire grotesque et drôle à la fois, de cette famille suce-la-cenne, composée de Louis-Dollard Delorme (héritier de Prosper) et sa cupide épouse Estelle, mais aussi des trois sœurs, Morula, Gastrula et Blastula, sorte de blattes sur deux pattes, mesquines et ridiculement prétentieuses à qui on confit pourtant les tâches les plus ingrates, ce dont elles s’accommodent sans trop rechigner.
Toute la famille se consacre entièrement à faire fructifier sa fortune, qu’elle préserve jalousement dans un coffre-fort, caché au cœur de la maison aux soixante-sept serrures.
« Il faudrait une déflagration pour troubler la tranquillité d’un tel foyer », nous dira la narratrice dès le début du roman.
Cette déflagration prendra plutôt la forme d’une petite étincelle en la personne de Penny Sterling, une jeune femme qui se présente un beau jour chez les Delorme avec l’intention de louer un appartement dans l’immeuble qu’ils possèdent et dont ils tirent de substantiels revenus.
Du haut de sa suffisance, Louis-Dollard exigera bien entendu des références et des garanties. La réponse, non seulement l’étonnera, mais le laissera littéralement béat d’admiration. Car la jeune intrigante est riche, mais surtout célibataire. Sa fortune ne cesse de croître grâce à un jeu de société qu’elle a inventé et su adroitement tirer profit. Et comble du bonheur, elle entend l’offrir en dot si elle trouve un bon mari.
Or, il se trouve justement que les Delorme ont un fils, lequel a horreur de l’argent, mais bon, c’est quand même lui l’héritier, et tout le monde croit encore que son éducation, baignée dans la frugalité la plus totale, finira par lui faire entendre raison.
Mais rien, bien entendu, ne se passera comme prévu.
La plume de Martine Desjardins se déploie à nouveau avec une très grande finesse, offrant une intrigue particulièrement adroite avec des retours en arrière qui révèlent peu à peu les dessous de cette famille prête à tout pour l’argent, au risque de faire d’innocentes victimes.
L’auteure s’amuse avec ses personnages, se moquant de certains d’entre eux avec style et cruauté, pour notre plus grande joie. Ainsi, parlant du cadeau offert par les époux Delorme à leur fils le jour de sa majorité, on nous décrira la chose en ces termes, et de façon très prémonitoire. « Ensemble, ils avaient convenu de le laisser emprunter la voiture une fois par mois – une décision prise un peu à la légère et dont ils auraient très bientôt à se repentir, car elle allait permettre au serpent de l’hérésie de s’introduire dans leur petit paradis et d’inscrire dans son sillage le plus funeste des présages. »
Délicieux!
Pour me contacter : daniel.giguere@outlook.com

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