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Silence d’Amour

Par Josée Pilotte

Je me rappelle de cette fois où nous avions fait ensemble une maquette du Stade olympique en bâtons de popsicle. Je tenais les bâtons dans mes petites mains et déposais très minutieusement de la colle aux extrémités, en faisant bien attention de ne pas me coller les doigts, pour ensuite les remettre à mon père qui lui, était le maître d’oeuvre pour assembler un à un chacun des morceaux. Un vrai travail d’équipe.

Je me rappelle de la surprise que j’ai eue quand la directrice de l’école m’a fait venir à son bureau pour me dire que «mon stade» avait été choisi parmi tous les stades pour la grande finale inter-école. Quelle fierté j’ai ressentie, je me souviens du bruit de mon cœur battre dans mes oreilles tellement j’avais couru comme une folle au retour de l’école pour annoncer la bonne nouvelle à tout le monde. J’avais alors neuf ans.

Après ce moment mémorable, je n’ai plus revu mon père. Il est parti un jour pour ne jamais plus revenir. C’était comme ça, un matin tu as un père et le lendemain, tu n’en as plus. Pas d’explications, ou si maladroitement expliqué que tu n’y comprends rien.

Et puis il t’appelle le dimanche, je me rappelle que la conversation était trouée de silences. C’était j’imagine sa façon de me parler. Et peu à peu les dimanches et les silences se sont faits de plus en plus rares, pour ne plus dire jamais. Des années ont passé, j’avais 17 ans alors et j’ai reçu un appel de lui me disant ceci:

– La plus belle chose que j’aurais fait pour toi ma fille, c’est de ne pas t’avoir élevée.

– (silence)

Et il a raccroché. C’est tout, rien d’autre. Pas d’explication, une seule phrase que j’ai porté toute ma vie. Ça sera des années plus tard, alors que j’aurai eu

mon premier fils adoré, Antoine, que je me suis levée un matin d’automne et cherché à le joindre à mon tour pour lui dire ceci:

– Salut, c’est moi, ta fille, je voulais juste te remercier de m’avoir donné la vie.

– (Silence)

Et j’ai raccroché. C’est tout, rien d’autre. J’ai imaginé lui avoir enlevé tout le poids de sa vie sur ses épaules (du monde) dans ces quelques mots.

Je ne lui en voulais pas de m’avoir abandonnée. J’avais fait le deuil de mon père. Et compris avec les années que je ne serais pas la femme que je suis aujourd’hui si effectivement j’avais été «élevée» à ses côtés. Au fond, sa preuve d’amour envers moi a été de ne pas être dans ma vie. Parce que s’il l’avait été, à coup sûr, il m’aurait «fuckée». Et que malgré ses fêlures, il le savait au fond de lui. J’ai fait mon petit bonheur sur ces quelques mots prononcés des années plus tôt. Comme dans le film La vie est belle, j’ai appris à voir les choses, la vie, différemment. C’est le choix que j’ai fait de lui avoir donné raison, de lui avoir fait confiance d’une certaine façon et d’avoir lâché prise sur ce que devait être un père. Parce que des pères j’en ai eu tout plein dans ma vie et ils m’auront tous à leur façon transmis des choses. D’abord il a eu mon grand-papa Armand et sa grande curiosité, mon oncle Jean-Louis pour sa rigueur, mon beau-père Paul pour sa patience et son non jugement… Ils ont tous incarné une figure paternelle. Ils m’ont donné de l’amour et transmis des valeurs.

J’aime dire que la vie m’a entourée d’hommes. La preuve, elle m’a donné deux fils et un Chum (qui est tout un père pour ses fils) qui me regarde toujours après plus de 20 ans comme si j’étais la 7e merveille du monde, j’exagère un peu je sais, mais bon; elle est-tu pas bien faite la vie pareil, han?!

Quelques jours après avoir appelé mon père pour le remercier de m’avoir donné la vie, j’ai reçu un message sur mon répondeur au journal que j’ai d’ailleurs archivé très longtemps. C’était à mes tout débuts, je m’en souviens comme si c’était hier:

– Josée, c’est ton père. J’voulais te dire que je suis ben fier de toi ma fille…

Merci la vie. Merci Papa.

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