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FABIENNE LAROUCHE Les belles histoires…

Par fabienne-larouche

Fabienne Larouche, certainement la Laurentienne la plus en demande, chronique dans Accès chaque semaine du mois de septembre.

Ce matin, le soleil brillait sur les Pays d’en Haut. La Vallée était magnifique. Le clocher de Saint-Sauveur luisait en dominant la rue Principale. Les travailleurs se répandaient dans les restaurants pour déjeuner. Le village commençait à s’animer. J’ai eu une pensée pour Claude-Henri Grignon.

Grigon signait ses écrits les plus virulents du surnom de «Valdombre». «Même si vous ne partagez pas les opinions de l’ours, disait-il, vous prenez du moins un plaisir réel à le lire. Il vous arrivera de vous fâcher parfois, de le trouver excessif, mais du moins vous aurez devant les yeux une prose énergique et pleine de sève». Je me sens une parenté…

Les Belles histoires des Pays d’en haut est un témoignage d’amour pour la région, mais surtout un portrait de ce que nous sommes, de ce que nous avons été. On peut partager ou non les positions politiques de Grignon, mais on ne peut pas lui refuser un réel talent pour décrire l’essentiel et l’illustrer dans ses fictions: Qui som-mes-nous? D’où venons-nous? Où allons-nous?

Mes divagations de promeneuses me ramenaient à Donalda, à Todore Bouchonneau et à tous ces merveilleux personnages. Mes souvenirs s’élaboraient sur un petit fond de nostalgie! D’où venons-nous? Avons-nous encore quelque affinité avec les colonisateurs du Nord, nos grands-parents, nos arrière-grands-parents? Notre histoire est-elle le prolongement de leur existence à eux? Les rêves de liberté de Basile Fourchu sont-ils morts et enterrés avec lui?

Je me suis arrêtée devant l’Église. Un imaginaire Curé Labelle se préparait à y entrer. Il se retourna au dernier moment et me regarda. En me saluant, il me demandait «Qui es-tu?». Pas moi comme individu, moi comme habitante de ce Nord qu’il a bâti. Qui es-tu Fabienne, com-me Canayenne? Es-tu encore la fille de tes ancêtres? Les voitures qui défilaient dans la rue ont fait disparaître le fantôme du Champion de la colonisation, mais pas sa question. Sur les plaques d’immatriculation des automobiles, le «Je me souviens» devenait du sarcasme…

Ma promenade matinale me ramena ensuite chez moi. La montagne et sa tonsure de pistes de ski devenaient un objectif naturel. Penser à ma destination physique me rappelait notre évolution comme peuple. Je vis Poudrier sortir de chez le cordonnier, rue Saint-Denis. Il me regardait avec une sorte de déception dans l’oeil. Lui, le candidat «castor», lui l’avare, il me dévisageait avec un dépit manifeste. Où allons-nous?

Arrivée à la maison, je me suis installée sur la galerie pour profiter encore un peu du soleil matinal. Ce que je voyais devant moi me plaisait bien. Ces bosses rocailleuses, ces feuillus malingres qui se préparaient à rougir, ces irrégularités géologiques donnaient à la vallée des airs de Provence froide. Je ne voyais plus les affiches des candidats aux prochaines élections fédérales. Je ne voyais plus l’Anglais qui s’imposait avec l’arrogance du calcul. Je ne voyais plus l’indifférence. Je me préparais à écrire Virginie… com- me à chaque jour. J’ai renoncé. Je me suis plutôt assise pour é-crire cette dernière chronique.

Ma petite randonnée dans Saint-Sauveur m’avait fait comprendre que nous assistons, impuissants et immobiles, à la disparition de notre culture ancestrale. De la même manière, nous attendons avec résignation que la planète se réchauffe. Ironie du sort, la glace fond et la tradition française s’estompe; l’une et l’autre se liquéfient dans la chaleur des préoccupations financières. «Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver»? Cela achève, ceci meurt…

Est-ce un privilège de se voir mourir de son vivant, d’entendre les adolescents rêver en américain, ou s’imaginer en commerce avec la Chine? Est-ce une chance d’être de ces générations qui vivent l’assimilation en même temps que la disparition de l’humanisme social et de la pensée des Lumières?
«Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai»… Leonard Cohen le chante en français, à son dernier concert, lui qui nous aime plus que nous nous aimons nous-mêmes. La gêne? C’est une langue belle, qui souffre d’économie. C’est une histoire fabuleuse, qui râle du prix de l’essence. Ce sont des ancêtres vigoureux et engagés, des géants magnifiques, dont on répand les cendres sous les routes à paver. Ce sont les sacrifices des mères enceintes, qui se gagnaient une terre en accouchant du treizième; mamans aujourd’hui ensevelies sous les Loblaws, les Costco, les Home Depot…

On étouffe la mémoire pour un plat de lentilles. On transforme nos enfants en exilés. Allez! Alexis, danse!. «Je te plumerai la langue, et le dos, et le bec…

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