(Photo : Davy Lopez - Nordy)

Projet Bourg du Lac : Sainte-Adèle poursuivie

Par Alexane Taillon-Thiffeault (Initiative de journalisme local)

Le projet locatif Bourg du Lac, à Sainte-Adèle se retrouve aujourd’hui au cœur d’une controverse : après d’importants travaux et investissements, le permis de construction a été annulé en raison d’un différend environnemental majeur, provoquant un gel complet du chantier, une impasse pointée par les résidents voisins et le promoteur, et une poursuite intentée par le promoteur.

Le promoteur indiquait une livraison vers l’été 2025 selon son site internet. Mais la Ville a annulé le permis de construction à la suite d’une analyse environnementale confirmant la présence d’un cours d’eau sur le terrain visé. Ce fait change radicalement la donne : les travaux sont à l’arrêt, les investissements gelés, et les citoyens, tout comme les promoteurs, pointent du doigt des zones d’ombre dans la gestion du dossier.

La question centrale du litige reste la même : s’agit-il de cours d’eau ou de simples fossés d’écoulement ? Le ministère de l’Environnement conclut à la présence de deux cours d’eau sur le terrain, tandis que la Ville n’en reconnaît qu’un seul, l’autre étant considéré comme un fossé. De leur côté, les promoteurs appuient leur position sur trois expertises distinctes affirmant qu’il ne s’agit que de fossés. Là est le problème : lorsqu’un écoulement est considéré comme un ruisseau, la loi impose de protéger sa bande riveraine. Mais s’il est classé comme un simple fossé, cette zone de protection n’est pas requise.

Différents points de vue

Le projet a été accepté par la Ville par l’émission des permis et signature du protocole d’entente. Le promoteur affirme également que l’entreprise dispose de contre-expertises démontrant que les rapports municipaux et ministériels étaient erronés. « Le dossier étant judiciarisé, la Cour déterminera ultimement la qualification des lits d’écoulement sur nos propriétés, et nous ne formulerons pas d’autres commentaires à ce sujet. »

Du côté des citoyens voisins, le constat est tout autre. Christian Chauveau et Dominique Pilon, qui habitent près du site, sont ceux qui ont sonné la cloche il y a déjà 11 mois. Ils affirment que les travaux ont modifié la topographie et détruit une partie de la bande riveraine : « On a vu tomber les arbres jusqu’au ruisseau. Au départ, on nous assurait qu’il s’agissait d’un terrain sec. Aujourd’hui, on parle de cours d’eau et de milieux humides. »

Les deux citoyens affirment que selon leur point de vue, le chantier a été lancé trop rapidement, sans validation indépendante. Cette annulation, pour eux, confirme ce qu’ils dénonçaient depuis le début. « On a vu les machines arriver sans avertissement. En quelques jours, des pans entiers de la bande riveraine avaient été rasés », raconte M. Chauveau. Le projet était toutefois approuvé depuis mai 2023. « On nous avait dit qu’il n’y avait que des fossés d’écoulement, mais quand il pleut, l’eau circule clairement comme dans un ruisseau. »

Le couple, qui habite à proximité immédiate du chantier, se dit inquiet de la transformation du paysage et de la gestion du drainage. « C’est un projet de grande ampleur, à quelques mètres d’un secteur humide. On ne s’oppose pas au développement, mais il faut que les règles soient respectées », ajoute le couple. « Ce n’est pas normal qu’on apprenne après coup que des permis sont suspendus parce que des vérifications n’ont pas été faites à fond. »

Ils ont documenté les changements du terrain, photos et vidéos à l’appui. Ils estiment que la Ville a d’abord minimisé leurs inquiétudes avant d’intervenir. « Ce qu’on veut, c’est de la transparence. On demande simplement que les autorités appliquent la même rigueur aux promoteurs qu’aux citoyens », résume le couple.

Les autorisations obtenues

La compagnie affirme qu’elle a obtenu toutes les autorisations nécessaires avant le début des travaux. « Nous avons obtenu une autorisation ministérielle pour l’installation du réseau d’aqueduc, d’égout sanitaire et d’égout pluvial émise par le MELCCFP, incluant le branchement de l’égout en milieux humides et le branchement à l’aqueduc, précise-t-elle. Nous avons également reçu le permis de lotissement émis par la Ville, signé l’entente promoteur pour les travaux municipaux, obtenu l’approbation du plan concept du projet, l’approbation des PIIA et les permis de construction pour trois bâtiments, ainsi que le permis d’abattage d’arbres. »

Une étude environnementale réalisée par une firme de biologistes a été déposée avant la déposition des permis et analysée par la Ville, qui s’en serait alors déclarée satisfaite. C’est sur la base de ces autorisations que l’entreprise a lancé les travaux à l’automne 2024.

L’entreprise déclare avoir investi plus de 4 millions $ dans le projet, et que le gel du chantier bloque tout développement futur. « Nous avons investi plus de 4 000 000 $ dans ce projet, sommes qui proviennent de nos propres fonds personnels. Nous avions planifié travailler sur ce projet sur deux ans et n’avons pas pris d’autre projet. Les capitaux investis sont gelés, et nous ne sommes actuellement pas en mesure d’envisager d’autres projets à réaliser, par manque de capitaux. » Elle affirme aussi que « d’un point de vue humain, le stress que la situation a engendré, particulièrement en raison des nombreux changements de position par la Ville depuis les derniers mois, est indescriptible. Les réseaux sociaux alimentent des discussions dénuées de fondement, amplifiant des opinions non vérifiées et trompeuses. »

« Même si le projet pouvait reprendre en raison du fait qu’il s’agit de fossés et non de cours d’eau, nous ne sommes pas convaincus que nous serons en mesure de le réaliser en raison des derniers événements. À la suite de l’incendie criminel survenu dans l’un de nos bâtiments, nos assureurs nous ont déjà avisé qu’ils ne souhaitent plus assurer le chantier, » ajoute l’entreprise. Le promoteur a donc déposé une poursuite contre les différents intervenants, pour tout dommage et intérêt, estimant que l’arrêt du chantier, les changements de position (les permis ont été retirés trois fois) et le refus de remboursement des garanties financières versées représentent un préjudice majeur.

Une impasse technique et politique

Le nœud du litige repose donc sur un point précis : les fossés d’écoulement aménagés sur le terrain constituent-ils des cours d’eau au sens de la Loi sur la qualité de l’environnement ?

Pendant ce temps, le projet Bourg du Lac reste figé, symbole d’un bras de fer entre développement résidentiel et protection environnementale, une discussion qui revient souvent à l’heure actuelle à Sainte-Adèle. En parallèle, la mairesse sortante de Sainte-Adèle, Michèle Lalonde, n’a pas souhaité commenter davantage le dossier en raison des procédures judiciaires en cours. Rappelons également que la nouvelle mairesse, Nadine Brière, promet une refonte complète du plan d’urbanisme et un moratoire sur tous les nouveaux projets de la Ville.

2 commentaires

  1. Sainte-Adèle et les poursuites, ils vont si bien ensemble! L’article décrit un pattern récurrent à Sainte-Adèle, le passé peut en témoigner. De plus, les citoyens en ont assez de ces projets immobiliers déconnectés, il y aura de plus en plus d’opposition dans les années à venir, qu’on se le tienne pour dit.

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