Des camionneurs manifesteront en ralentissant les autoroutes
Par Luc Robert
Les automobilistes devront redoubler de patience à compter du 22 septembre prochain, alors que s’amorceront les « lundis infernaux », soit des ralentissements de la circulation aux heures de pointe, effectués par des camionneurs sur les routes du Québec.
Les Laurentides et l’autoroute 15 ne seront pas épargnées par le mouvement des routiers, qui contestent la lenteur des gouvernements à intervenir auprès des « chauffeurs fantômes » de semi-remorques, qui auraient causé plusieurs accidents mortels sur les routes au cours des derniers mois.
« Nous vivons une tempête parfaite présentement. Les bonhommes verts (inspecteurs routiers du Québec) ne sortent presque plus des postes routiers de pesée pour faire des inspections de camions, car ils veulent entre autres obtenir le port d’armes, ce que les autorités semblent refuser. De l’autre côté, en Ontario, le monde interlope fait souvent entrer des immigrants avec des visas d’étudiants. Ils leur demandent ensuite un remboursement de passage au pays en les faisant conduire des semi-remorques, qui deviennent des bombes à retardement sur roues, parce que ces camionneurs ne sont souvent pas qualifiés. Il en résulte des accidents un peu partout, en raison du manque d’expérience de ces camionneurs. On nous traite de racistes, mais ce n’est pas le cas. Des compagnies peu scrupuleuses sont prêtes à tout pour réduire leurs coûts de transport en embauchant des chauffeurs sans permis de classe 1, sans assurances et sans formation de base adéquate », a dépeint comme situation un camionneur de Saint-Jérôme avec 29 ans d’expérience.
Rouler au ralenti
Sur le site Assez, c’est assez. Sauvons l’industrie du camionnage, des ralentissements sont prévus les lundis 22 et 29 septembre aux abords des villes de Québec, Trois-Rivières, Gatineau et Montréal.
« Le but reste de ralentir la circulation des autoroutes, en occupant au ralenti une voie. Les organisateurs sont en contact avec la Sûreté du Québec (SQ) pour que ça ne perturbe pas trop, mais que ça conscientise les élus. Les camionneurs ont tenu le 17 septembre une réunion pour identifier les trajets où se tiendront les manifestations. Ils veulent une action forte, organisée et solidaire. L’autoroute des Laurentides (A-15) sera notamment affectée », a indiqué notre autre source locale du milieu, qui souhaite aussi rester anonyme, car les organisateurs craignent «de se faire piéger par les journalistes ».
Nos deux compères espèrent que les citoyens ne les jugeront pas trop. « Certains nous comparent aux brokers (sous-traitants) qui ont débarqué à Ottawa pendant le COVID. Nous sommes plutôt majoritairement des routiers de compagnies, qui veulent sauver leur emploi et sécuriser les tracés. Des firmes d’ici n’hésitent pas à faire affaire avec des compagnies à rabais, avec les risques inhérents. Quand tu te fais doubler sur les autoroutes 50 et 55, dans des sections à contre-sens, tu roules les fesses serrées. Personnellement, je vais au plus loin à Cornwall et à Prescott, en Ontario. C’est trop le chaos sur la 401 vers Toronto. Et même au Québec, quand je vois une plaque de l’Ontario devant moi, je dépasse avant que le comique me fasse un jack-knife (mise en porte-feuille) dans la figure. Ils n’ont pas conscience qu’un coup de volant brusque donné pour dépasser, le semi-remorque valse avec son poids de cargaison et peut se renverser aussitôt. »
Contournements
Une vidéo circule sur internet, montrant près de 300 véhicules lourds saisis (majoritairement plaqués en Ontario) par les inspecteurs du poste de pesée situé à Les Cèdres, près de Valleyfield. Mais ce constat ne serait que la pointe de l’iceberg montrant des camions en mauvais état.
« Les camions de certaines firmes de transport possèdent dans leur GPS les coordonnées des postes de pesées du Québec (qui ne seraient ouverts qu’à 20 % du temps), pour permettre au chauffeur de les éviter par des chemins de campagne. Quand ils se font contrôler aux pesées, les camionneurs fantômes arrivent aussi très souvent sans rapport d’activités (log books). Ici, on a droit à 13 heures de conduite et 1 heure de service, pour un total de 14 heures. Aux États-Unis, c’est 10 heures de conduite au maximum par jour. Quand les chauffeurs fantômes arrivent aux truck stops (postes de ravitaillement), ils sont cernés, se stationnent n’importe comment en bloquant le chemin aux autres, et se foutent de la maintenance de leur train-routier. On a vu des accidents récents documentés, comme à Issoudun, à Saint-Bruno-de-Montarville, à Boucherville et j’en passe. Qu’attendent les autorités pour faire des inspections et sortir les illégaux de la route ? Combien de morts faudra-t-il encore ?», a questionné le premier camionneur local.
Les routiers appellent les autorités à agir, d’où les moyens de pression envisagés. « Ils risquent la vie de tous les usagers de la route. Avant, avec les transmissions manuelles, ça prenait une certaine dextérité pour devenir camionneur. Là, avec les transmissions automatiques, n’importe qui s’improvise chauffeur et on se retrouve avec des collisions monstres. Va-t-il falloir un carnage comme celui des Broncos de Humboldt (décès de 10 joueurs et 6 autres membres d’un club de hockey en Saskatchewan) pour que les autorités se réveillent ? On veut bien donner la chance à M. Jonathan Julien, nommé ministre des Transports et de la Mobilité durable (MTMD), mais ça urge. Sa prédécesseure, Mme Geneviève Guilbault, passait plus de temps à se défendre à la commission Gallant qu’à se rendre compte de ce qui continue à être une hécatombe sur nos routes. Et les camions saisis ? Les expéditeurs les remplacent aussitôt par d’autres rafiots sur pneus et recommencent leur manège », a repris notre deuxième intervenant.
Copier les Américains ?
Rarement a-t-on vu des camionneurs exiger plus de contrôle routier, qui peut être aussi coûteux pour eux. « Depuis l’accident mortel de la Floride, les chauffeurs sont suivis au peigne fin. Les expéditeurs exigent de voir un permis de classe 1 valide. Ceux qui ne lisent pas l’anglais ou les pictogrammes des pancartes sont enlevés du volant. Il faut s’inspirer de leur modèle. Ici, quand ton camion se trouve en ordre, tu n’as rien à craindre. »
L’industrie canadienne du transport peinerait à garder la tête au-dessus de l’eau, sans l’usage des illégaux, estime plusieurs intervenants. « Le logistique est devenue un foutu cafouillage : tu peux attendre à destination des heures interminables parce qu’une mauvaise palette de chargement n’a pas été chargée ou débarquée. Le système de gestion ISAAC te permet de revenir avec un autre chargement, au lieu d’être vide, pour rentabiliser ton retour. Mais souvent, tu arrives à la guérite et le voyage n’est pas disponible. Les compagnies ont troqué graduellement le transport ferroviaire pour le terrestre : nos routes sont devenues encombrées et les conducteurs fantômes viennent jeter le reste du marché par terre », a terminé notre premier informateur, qui souhaite prendre sa retraite sous peu… sans accident.