Photo : Monia Proulx

Une victoire théorique, une défaite pratique

Par Philippe Leclerc

CHRONIQUE

Imaginez qu’on vous sert un verre d’eau à moitié rempli. On vous dit : « sois content, tu bois quand même Â». Voilà, en gros, le récent jugement de la Cour supérieure sur la carte électorale, contestée par les préfets de notre région via le Conseil des préfets (CPÉRL). Ils voulaient obtenir la circonscription additionnelle prévue. Le juge, dans sa décision, admet que la démocratie est diluée, que la voix des Laurentides pèse moins. Mais il conclut que ce n’est pas dramatique… pour l’élection qui se tiendra en 2026. Autrement dit : on admet la soif, mais on nous laisse la gorge sèche.

Il faut savoir qu’il y a 125 sièges à Québec, pas un de plus, pas un de moins. C’est une tarte coupée en 125 pointes : chaque circonscription doit nourrir environ 50 000 électeurs. Toutes les quelques années, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) sort son couteau et recoupe la tarte pour garder des parts de taille semblable. C’est la carte électorale.

Sauf que la population ne lève pas partout pareil. Dans les Laurentides, ça gonfle comme du pain au four : une circonscription déborde de 12 000 électeurs de plus que la moyenne. Pendant ce temps, la Gaspésie ou la Côte-Nord se vident doucement, avec des pointes de tarte qui rapetissent. Comme le nombre total reste figé à 125, il faut couper quelque part pour donner ailleurs. Résultat : certaines régions perdent un siège, d’autres en gagnent, et les grands territoires immenses mais peu peuplés se retrouvent avec moins de représentants à Québec. Moi qui dénonce souvent le peu de considération pour notre région à Québec, je ne crois pas qu’il faille corriger cela sur le dos des autres régions.

Toujours est-il que les 125 élus de l’Assemblée nationale ont décidé à l’unanimité de ne pas appliquer la réforme proposée par le DGEQ pour l’élection 2026 et de se pencher sur une solution plus adéquate pour l’élection de 2030. Le CPÉRL conteste cette décision commune des députés de l’Assemblée nationale. Et cette croisade n’uni pas les régions : des élus de l’Estrie, du Centre-du-Québec, de Laval et de l’Outaouais appuient la contestation, pendant que la Gaspésie plaide le statu quo et que les autres régions restent muettes — chacun pour sa pointe de tarte.

Une victoire creuse…

On pourrait se réjouir : la Cour reconnaît noir sur blanc que l’injustice existe. La carte de 2017 reste en place, comme un vieux chandail trop petit qu’on continue de mettre faute d’avoir mieux.

Heureusement, le juge a remboursé les frais judiciaires, salés. Mais on n’a pas sauvé l’essentiel : le temps et l’énergie politique. Des mois gaspillés dans des mémoires et des plaidoiries. Des mois qui auraient pu servir à bâtir un rapport de force citoyen. Résultat : notre région n’a pas plus de poids qu’avant. Et voilà qu’on relance la machine : appel déposé fin juin, nouvelles ressources juridiques et financières mobilisées, et la désunion des régions se poursuit.

… à cause d’une stratégie mal foutue

Le CPÉRL a sorti ses avocats comme un joueur qui jette ses gants trop vite. Mauvais réflexe. Le juge l’a dit : ce qui a compté, c’est l’unanimité des 125 députés. Tous d’accord pour ne pas dépouiller certaines régions au profit d’autres. Comment croire qu’un tribunal allait casser un consensus aussi massif ? Prévisible.

Voulant jouer les preux chevaliers, les préfets ont plutôt donné l’image de donneurs de leçon. En opposant « municipaux Â» et « provinciaux Â», ils ont creusé des tranchées au lieu de bâtir des ponts. Pendant qu’on se battait devant un juge, on ne faisait pas ce qui comptait : parler aux citoyens, rallier les députés, convaincre d’autres régions de se joindre au combat d’une meilleure représentativité. Et ça continue encore…

La vraie bataille

La démocratie se gagne dans les cuisines, les médias, les coalitions parfois improbables. On l’a déjà fait. Pour la santé, quand médecins, élus et citoyens se sont levés ensemble, Québec a cédé du terrain. Depuis que le CPÉRL a abandonné cette voie, constatons le recul.

L’avertissement du juge

Le DGEQ presse à présent la Cour d’appel de juger d’ici le 3 décembre — et, si la carte est refaite d’ici février, il réclame une exécution provisoire pour qu’on applique la carte qu’il proposait. C’est perdu d’avance selon moi.

Heureusement, le jugement a fixé une limite : après les élections de 2026, impossible de justifier encore la vieille carte — elle devra changer. C’est une opportunité. La région a quatre ans pour se reprendre. Quatre ans pour mobiliser, organiser, mettre de l’avant une révision qui ralliera tout le Québec. Mais à l’aube de 2026, aucun chef ne veut rouvrir cette boîte de Pandore : encore moins le PQ qui mène dans les sondages et qui n’ira pas froisser les régions éloignées qui l’ont soutenu — dont la Gaspésie.

Changeons d’approche

Le CPÉRL veut remettre en cause la volonté des 125 députés devant un tribunal. La démocratie, ce n’est pas un interrupteur qu’on bascule selon l’humeur des élus. Si on veut que les Laurentides et les régions en croissance soient représentées à leur juste mesure, il faudra sortir du juridisme et revenir au politique. Il faudra rallier, créer des ponts avec les autres régions qui ont toutes droit à une juste représentativité. Souhaitons que les prochains préfets des Laurentides le comprennent.

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