Quand la magie côtoie l’absurde

Par Frédérique David

Décembre a recouvert nos belles montagnes de son traditionnel manteau blanc. On a refait du feu dans les chaumières. On a ressorti les habits de neige aux enfants, les pelles rangées en arrière des pneus d’été et les abris Tempo. On a emballé le rosier, le lilas, le laurier-rose, les fuchsias qui forment désormais de drôles de silhouettes un peu penchées, témoins de notre volonté de faire pousser des espèces conçues pour d’autres climats.

J’ai personnellement fait mourir trois pieds de lavande trois années de suite avant de renoncer. J’ai néanmoins vu un magnifique Olivier dans la cour d’une maison en Outaouais. Un fier résistant à nos hivers qui était venu faire un pied de nez à l’absurde de cette mondialisation horticole. Cette même absurdité qui consiste à dépenser trois fois la valeur réelle pour une espèce végétale qui ne survivra pas à la saison froide pendant que d’autres pourraient se nourrir pendant une semaine avec notre ridicule entêtement. La neige et le froid me ramènent inévitablement à cette réalité honteuse. Pendant qu’on installe un Tempo pour protéger notre auto, d’autres installent des tentes où dormir à -30. Et ils sont de plus en plus nombreux. Aussi absurde que l’Olivier qui pousse au Québec, il y a ces milliers de gens qui poussent les portes des magasins en quête de futilités, de décos instagrammables, pendant que d’autres, quelques kilomètres plus loin, se couchent sans savoir s’ils survivront à la nuit polaire.

La magie de Noël

J’ai mis du temps, cette année à installer des lumières de Noël. Du temps gagné sur l’absurde et le futile, me suis-je dit. Je m’y suis quand même résignée, pour que perdure un peu de magie dans ce monde en déclin. Je voulais que ma petite fille puisse dire « c’est beau mamie! » du haut de ses deux ans et de sa formidable capacité d’émerveillement. Celle qu’il faut préserver justement. Alors on joue le jeu, on fait semblant. Noël m’émerveille de moins en moins, mais j’y participe pour les créateurs de bonhommes de neige de ce monde, pour voir leurs petits yeux écarquillés devant un sapin illuminé. C’est comme un baume sur notre découragement. Il faut cultiver le beau pour atténuer le laid. Je cultive donc, malgré le sentiment de honte et d’absurdité qui m’habite chaque année un peu plus. Noël est certainement le moment le plus confrontant de l’année, celui qui vient bousculer nos désirs les plus contradictoires, nos pensées les plus opposées.

Et l’insécurité alimentaire

Décembre nous révèle cette année l’impensable. L’insécurité alimentaire a presque doublé au Québec en quatre ans, passant de 11% en 2019 à 20% en 2023. Les statistiques de 2025 seront certainement plus alarmantes. Cela signifie que pendant que nos aéroports sont pleins de vacanciers, 1,7 millions de personnes doivent renoncer à un repas quotidien pour parvenir à payer leur loyer. Pendant que certains skient la fin de semaine au chalet, d’autres font la file pendant des heures pour obtenir un panier de denrées. Pendant que j’allume mes lumières de Noël, d’autres allument le petit réchaud de camping pour chauffer leur tente pour la nuit. L’absurde ne tue visiblement pas, mais il frappe toujours plus fort et ce n’est pas un don à une guignolée qui règlera notre responsabilité collective. On l’a échappée quelque part gang! Quand est-ce qu’on se réveille? 31% des locataires au Québec ne mangent plus à leur faim. On parle ici de salariés, d’étudiants, de personnes âgées. On parle ici des gens comme vous et moi et d’une réalité qui nous menace tout autant. Le paquebot coule et on continue d’illuminer nos sapins? Comme le dit Dany Laferrière, dans Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, « seule la loi peut changer le pauvre en citoyen, en nous rappelant que la misère ne tombe pas du ciel, mais qu’elle vient des hommes et de leurs rapports entre eux. »

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