Photo : Kevin Millet

Une quête de sens, sans la récompense

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Haute démolition
Photo : Kevin Millet

Dans le roman Haute démolition de Jean-Philippe Baril Guérard, tu es Raph, un jeune humoriste qui essaie de percer dans le milieu. Dans un party, tu rencontres une fille, Laurie, qui te raconte ce que l’avenir te réserve si tu passes la nuit avec elle. Es-tu prêt à affronter la douleur qui t’attend, pour trouver le succès que tu souhaites tant?

« Quand j’ai écrit le livre, j’avais cette idée-là : si tu sais toute la souffrance qu’un chemin que tu vas emprunter va te causer, es-tu « game » d’y aller quand même? », explique l’auteur, à l’autre bout du fil.

C’est pourquoi l’histoire est écrite au futur. Et avec la narration au « tu », le lecteur se sent directement interpellé. C’est « ton » histoire que tu lis. Baril Guérard utilise le même procédé dans d’autres de ses oeuvres, comme Royal, qui suit un étudiant en droit qui veut réussir à tout prix. Aussi, contrairement à une narration traditionnelle, le lecteur ne peut pas s’appuyer sur les mêmes « béquilles », ou des formules familières, pour faciliter sa lecture, explique l’auteur. « Il doit relire des passages », ce qui l’engage davantage dans le texte, continue Baril Guérard.

Maintenant que Haute démolition est disponible en livre audio sur Ohdio, l’oeuvre prend vie alors que Kim Despatis (Laurie) vous raconte l’histoire à l’oreille.

Ce qu’ils méritent

Les protagonistes de Baril Guérard semblent être en quête constante d’approbation ou de reconnaissance. Raph, par exemple, qui était victime d’intimidation au secondaire, ne vit que pour les rires du public. Mais l’auteur amène une nuance.

« Ce sont des personnages qui ont longtemps pensé qu’ils méritaient beaucoup. Et ils n’ont pas l’impression d’obtenir tout ce qu’ils veulent à la vitesse qu’ils veulent. » Aussi, l’accomplissement de leur quête est souvent décevant. « On se fixe un objectif et on se dit qu’une fois qu’il sera atteint, on sera dans une forme de nirvana. Mais finalement, non. On ne peut jamais vraiment gagner », illustre l’auteur. Le lendemain, on retourne à notre quotidien et à tout ce qui l’accompagne, ajoute-il.

Surtout, ses personnages ne cherchent pas le bonheur au bon endroit. Ils réussissent tous à avoir ce qu’ils veulent, souligne l’auteur. « Mais ils ne cherchent pas ce dont ils ont besoin. »

Milieux toxiques?

Dans ses écrits, Baril Guérard traite beaucoup de sujets lourds et difficiles. Ses personnages vivent des dépressions, ont des excès de colère, perdent le contrôle et contemplent même le suicide. Est-ce parce qu’ils évoluent dans des milieux toxiques, comme ceux de l’humour ou du droit?

« Ces milieux ne sont pas toxiques de manière objective. Pas entièrement. Je pense que les personnages, par la manière dont ils perçoivent leur milieu, décident de s’inscrire dans une forme de compétition. Ils sont aussi les artisans de leur propre malheur. »

L’écrivain aime surtout explorer la « perception tronquée » de ses personnages, « ceux qui voient tout comme une course, comme une compétition ». C’est d’ailleurs pourquoi, dans Haute démolition, Laurie ne partage pas comment elle ressent et vit l’histoire, même si c’est elle qui la raconte à Raph.

« Ça incarne comment l’égo de Raph prend tellement de place. Elle sait que Raph ne serait pas intéressé par sa version des faits. »

Dépeindre la vie intérieure

Ce qui rend les écrits de Baril Guérard aussi riches, c’est la description détaillée de la vie intérieure de ses personnages : ce qu’ils ressentent et ce qui les motive à tel ou tel moment. Cela en fait des personnages complexes, réels. « Les émotions, pour moi, sont comme des couleurs de base qu’on peut mélanger », illustre l’auteur.

Malgré ces passages décrits avec intimité et finesse, l’auteur se garde bien de trop se révéler, souligne-t-il. « Je suis un grand lecteur d’auto-fiction, mais personnellement, j’ai une grande pudeur. » En construisant des personnages et des scènes très élaborés, cela lui donne donc toute la liberté de raconter en détail même ce qu’il n’a pas vécu. « Ultimement, il y a quelque chose d’aussi cathartique. J’arrive à sublimer des choses. »

Même histoire, nouvel angle

Après Manuel de la vie sauvage, Haute démolition sera la deuxième oeuvre de Baril Guérard à être adaptée à la télévision. Il n’y avait pas de bonne façon de transposer à l’écran la narration au « tu » et au futur. « Donc on va plutôt alterner les points de vue », explique l’écrivain.

Ainsi, l’adaptation d’une oeuvre offre l’occasion de la présenter sous un nouvel angle. « Pour moi, ça devient vraiment des oeuvres différentes. Le médium finit toujours par changer l’histoire. […] Je m’inspire de ce que l’oeuvre veut dire, plutôt que de transposer le dialogue à la lettre. C’est une oeuvre qui dit la même chose, mais différemment. »

Les lecteurs du livre trouveront donc aussi leur compte dans la série télévisée, se réjouit-il.

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