Dérapages

Par Marie-Catherine Goudreau

Tu as juste hâte que ça finisse, le téléphone à tes cotés, la main sur le combiné, tu hésites à faire encore l’hystérique en l’appelant pour la millième fois de la soirée. T’as même pensé prendre ton char en pantoufles pour faire la tournée des bars, l’air hagard. Tu t’es ressaisie un peu: tu te remets à prier.

Tu as les yeux qui te roulent dans l’eau en repensant qu’il y a 18 ans, c’était hier, à deux heures du matin il était là, collé à ta peau, accroché à ton sein, les yeux levés vers les tiens. Et puis, il a fait ses premiers pas… déjà il était précoce et cette précocité était ta fierté; aujourd’hui elle est ton enfer.

Il était toujours de bonne humeur, on le surnommait «ma p’tite peanut d’amour», lui qui a parlé si tôt…

C’était avant. Aujourd’hui il t’arrive de penser qu’il a perdu la parole. C’était avant, avant que tout bascule. Avant le «rite de passage». Avant sexe, drogue & rock’n’roll. Avant la découverte du nouveau monde, quand la vitesse et le flirt avec la mort deviennent séduisants. Avant qu’il perde le regard admiratif qu’il posait sur toi, sans doute pour mieux s’affranchir. La liberté, encore, toujours. Cette liberté dont la soif est si forte à l’adolescence. Une soif si forte que certains s’y noient.

J’ai lu cette semaine la série d’articles sur les accidents de la route mettant en cause les jeunes de Foglia dans La Presse, j’ai aussi vu la bande-annonce du film de Paul Arcand, Dérapages. J’en ai eu mal. Mal à la tête, mal au ventre, mal au cœur, mal à l’âme, mon âme de mère. Vous savez la mère / hystérique / qui aime trop / qui s’en fait trop / qui a peur que…

… que mon fils soit un de ces morons qui se croit cool et invincible derrière un volant; ou bien qu’il soit un de ces morons qui croient que ça n’arrive qu’aux autres et qui montent sans réfléchir à côté de l’autre moron qui conduit, assis à la «place du mort» qui porte parfois trop bien son nom. Dès ces jours-ci, ce sera tolérance-zéro pour l’alcool au volant avant 21 ans, on devrait envisager sérieusement de mettre au programme dans nos écoles secondaires la projection du film d’Arcand.

3h.

Je repense à lui, il y a18 ans. Je repense à ma mère qui me disait: «Tu comprendras mon hystérie et mes cheveux gris.»

J’ai compris mon Dieu! J’ai compris. Y peux-tu rentrer là, maintenant, tu-suite, que j’aille me coucher?!

3h45.

J’entends un bruit de moteur qui se stationne dans l’entrée. Lui? La police qui vient m’annoncer que…?

Enfin!, il passe la porte: «Kesse-tu fais là, m’man?!»

Moi?!

«Rien. J’avais juste une p’tite faim, j’me faisais une p’tite toast, t’en veux une, mon grand?»

Ainsi va la nuit, ainsi va la vie.

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