Des infirmières séquestrées par leur employeur!

Par nathalie-deraspe

Hôpital régional de Saint-Jérôme

Le long congé de l’Action de grâce s’est traduit en véritable cauchemar pour les infirmières du département de néonatalogie de l’Hôpital régional de Saint-Jérôme. Bien que la majorité de celles-ci aient travaillé entre 12 et 16 heures d’affilée, l’employeur les a forcées à demeurer sur place jusqu’à ce que l’une d’entre elles se sacrifie pour un autre 4 heures.

Pour protester cette mesure draconienne, le Dr Andrée Gagnon, chef du département, a réuni tout le monde à la cuisine. «Les filles, on ne bougera pas d’ici. On va se commander une grosse pizza et on va manger nos émotions.»

Le Dr Gagnon raconte qu’à son arrivée en 1992, l’Hôpital régional comptait 12 omnipraticiens. On en dénombre la moitié aujourd’hui. «L’hôpital n’a jamais réajusté le tir, explique l’omnipraticienne. C’est la même chose au niveau des autres équipes médicales.»

Après avoir connu une décroissance de 1992 à 2001, le taux de natalité a subi une remontée spectaculaire. Actuellement, il se pratique en moyenne 1800 accouchements par année à Saint-Jérôme. Plus ou moins autant de naissances qu’en 1992, avec moitié moins de personnel. Cela se traduit par ce qu’on appelle dans le jargon hospitalier du «pointage» systématique. On exige des infirmières qu’elles fassent du temps supplémentaire, en faisant fi de leurs obligations familiales et personnelles. Cette pratique serait effectuée en continu depuis qu’on a coupé le personnel sur appel. Beaucoup d’infirmières ont abandonné le département de néonatalogie pour se sont trouver des postes réguliers en CLSC.

Démission en bloc

En septembre 2008, l’équipe médicale formée de gynécologues, pédiatres, omnipraticiens et obstétriciens a décidé de démissionner en bloc. Plus de 20 personnes au total sonnaient l’alarme. «Il fallait que ça éclate, raconte Dr Gagnon. La moitié du personnel était en surmenage et ça devenait dangereux de faire de la médecine.»

Le nouveau directeur général François Therrien a rapidement pris les choses en main. Tout le monde a décidé de faire preuve de bonne volonté en reportant leur démission. Un corridor de transfert a été mis sur pied avec l’hôpital de Saint-Eustache, ce qui a permis au département de souffler un peu. Un certain nombre de postes ont été affichés, mais sur 30 infirmières formées, seules 8 sont restées. Parallèlement, une dizaine d’employées étaient en congé de maternité.

La situation a continué de se dégrader durant la période estivale, où il manquait cruellement de personnel pour combler la période des vacances. «On demandait gentiment de faire du temps supplémentaire, confie à nouveau le Dr Andrée Gagnon. On nous avait dit qu’il fallait compter entre 6 et 9 mois avant que tout rentre dans l’ordre. Mais le pointage a recommencé. Beaucoup d’infirmières travaillaient 12 heures d’affilée, certaines 16.» Du temps supplémentaire qui n’était pas payé en double. Comme Saint-Eustache vivait également des débordements, impossible d’y transférer des accouchements. Tout a éclaté la fin de semaine de l’Action de grâce.
****La pouponnière fermée****

Déjà mercredi, les 5 chambres de naissances étaient combles, avec une seule infirmière sur l’étage. Une mère a dû être transférée à la Cité de la Santé de Laval. Elle a failli accoucher dans l’ambulance. Vendredi, aucun lit disponible. Pour rapatrier une infirmière, on décide de fermer la pouponnière. On place les bébés nés devant le bureau d’accueil, à cause du va-et-vient constant. Les congés sont donnés plus rapidement que d’habitude, pour faire un peu de place sur le département. Le soir, l’équipe est réduite. Tout le personnel sur les lieux cumule 12 heures de boulot, sauf les infirmières des agences privées, qui sont exemptées de pointage. À minuit, 2 cas de grossesse à risque. Les 3 autres patientes sont en travail. «Une d’entre vous doit se sacrifier», dit la direction. «Quoi? Faire 16 heures pour revenir travailler encore 12 heures demain?!» C’est à ce moment que le Dr Gagnon a décidé de jeter l’éponge. «On ne répondait qu’aux sonnettes d’urgence. Il a même fallu refuser des épidurales.»

Samedi soir, 6 patientes en travail. Pour la plupart, il s’agit d’un premier bébé. On compte deux gynécologues. Une adolescente soutient sa mère durant les contractions. Une femme faillit accoucher dans le corridor, une autre est installée dans la salle d’évaluation. Aucun équipement autour. La coordonnatrice à l’urgence décide de venir prêter main forte. «C’est la seule qui a eu un peu de sympathie à notre égard», confie Andrée Gagnon. Sans aucune formation adéquate, Chantal Melanson sert d’assistante aux accouchements. «Je ne suis même pas sûre qu’on verrait ça en temps de guerre», lance Mme Gagnon. La fatigue du personnel engendre des erreurs de médication. On a bien failli perdre un bébé qui convulsait. Le bambin a fait un ACV et a finalement été transféré à l’Hôpital Sainte-Justine. On avait d’abord insisté pour le laisser à Saint-Jérôme jusqu’à mardi. Congé oblige. Pendant que le personnel le stabilisait, les ambulanciers prenaient des notes.
«On brûle une équipe merveilleuse, déplore Dr Andrée Gagnon. Si on est tous encore ici, c’est bien parce qu’on se tient. Le pire, c’est que notre directeur général n’a jamais été mis au courant de ce qui se passait ici. Je suis sûre que François Therrien va travailler à 200 milles à l’heure pour améliorer la situation.»

Il nous a été impossible d’obtenir les commentaires de l’hôpital

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