Éduquer nos jeunes pour prévenir la violence
Par Thomas Gallenne
Violence à caractère sexuel
La semaine dernière, nous présentions en UNE, un entretien avec Chantal Ruel, intervenante chez L’Élan-CALACS, organisme d’aide aux femmes victimes de violence basé à Sainte-Agathe-des-Monts. Cette semaine, nous présentons un volet fort important de leur intervention: la prévention faite auprès de jeunes du secondaire.
Dans sa mission, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Sainte-Agathe offre en premier lieu des services d’aide et de soutien aux femmes et aux adolescentes ayant subi des agressions à caractère sexuel. L’organisme participe aussi à des activités touchant les problématiques des femmes, la promotion des rapports égalitaires et de préoccupations similaires. Mais c’est sur le rôle de prévention, d’éducation et de sensibilisation face à la problématique des agressions à caractère sexuel que l’organisme assure, que nous nous attardons cette semaine.
Chantal Ruel et Marie-Hélène Ouellette sont toutes les deux intervenantes pour L’Élan. «Première des choses, nous offrons du soutien pour les femmes à partir de 12 ans. Nous couvrons les écoles secondaires du territoire soit la Polyvalente des Monts à Sainte-Agathe et Curé-Mercure à Mont-Tremblant», explique Marie-Hélène. Une autre équipe de L’Élan basée à Mont-Laurier intervient à l’école secondaire du Méandre à Rivière-Rouge et à l’école Polyvalente Saint-Joseph de Mont-Laurier.
La prévention
La prévention se fait auprès des jeunes du secondaire, par le biais du ZAPS, un programme de prévention des agressions à caractère sexuel développé par
l’Élan, afin de rejoindre les adolescentes et adolescents dans les classes et les maisons de jeunes. Il offre des cours d’auto-défense et aide à monter un comité d’action, au sein duquel les jeunes vont developper un projet, comme une pièce de théâtre, un clip vidéo.
«On intervient auprès des élèves en secondaires 2, 3 et 4. Ce programme reprendra d’ailleurs à la mi-janvier. La prévention est essentielle car on considère que les agressions sexuelles sont causées par des raisons sociales. Ce n’est pas pathologique. C’est le fait de la socialisation entre les gars et les filles», explique Marie-Hélène.
Consentement libre et éclairé
Lors des premières rencontres, les intervenantes reviennent sur la définition de ce qu’est une agression sexuelle, la notion de consentement «libre et éclairé». «Cette question de consentement a besoin d’être clarifiée régulièrement. Le fameux: »elle a pas dit non… », ou »elle s’est laissée faire… », ça veut pas dire oui!», insiste Marie-Hélène.
En classe, les jeunes sont amenés à mettre en situation les notions de respect de l’intimité, de la bulle de l’autre, à décoder le non verbal.
Hypersexualisation et modèles
Les deuxièmes rencontres portent sur l’hypersexualisation et les modèles d’hommes et de femmes véhiculés à travers les médias. «Comment les comportements des gars et des filles sont dictés? Comment ces derniers doivent-ils paraître, se comporter? On amène les jeunes à développer leur esprit critique et à questionner les modèles: »Est-ce que vous voulez vraiment rentrer dans ces moules de »pitounes » et de consommateurs de »pitounes » que l’industrie vous propose?», interroge Marie-Hélène. Cette recherche de vouloir correspondre à un modèle bien souvent irréaliste, amène beaucoup d’anxiété et une faible estime de soi, ce qui rend les jeunes plus vulnérables.
Écouter sa petite voix
«À la troisième rencontre on aborde la question de harcèlement sexuel et de la séduction sur internet. On va aborder les notions de système d’alarme et de limite… On va parler de l’intuition. On a un exercice avec un macaron qui représente un système d’alarme pour les exercer à être à l’écoute de cette voix intérieure. C’est aussi un exercice pour déterminer quand quelqu’un rentre dans ma bulle ou que je rentre dans la bulle de l’autre, aussi bien physiquement que sur internet», précise Chantal.
La technique d’impact
La quatrième rencontre porte sur les mythes et les préjugés, et apporte des outils à un jeune à accueillir une confidence, à adopter des attitudes aidantes. «C’est une rencontre très intéressante et frappante pour les jeunes car on utilise une technique d’impact, enchaîne Marie-Hélène. À l’aide d’une petite chaise et d’une grande chaise, on fait vivre une situation d’agression sexuelle. La petite chaise représente la fille, la grande, le gars. On met la grande chaise sur la petite. Elle l’écrase. Ensuite on empile les livres sur la grande chaise, tels les préjugés, écrasant d’autant la petite chaise. On n’a pas besoin d’en dire beaucoup plus.» Cet exercice amène vers l’empathie, vers les bonnes choses à dire.
La porno: nouvelle norme?
En secondaire 4, les intervenantes abordent les questions d’hypersexualisation et de pornographisation de la société, et leur lien avec les agressions sexuelles. «On va démontrer à quel point les codes de la porno ont pénétré l’espace public. L’exemple de l’épilation des parties génitales en est un. Et tous les comportements dégradants qui sont banalisés. La sexualité a quelque chose de mystérieux, de beau, et c’est bien plus que la génitalité.»
Comment faire pour lutter contre tout ceci? N’est-ce pas la question que l’on finit par se poser, comme parent, comme jeune, comme individu? «Déjà, le simple fait de communiquer, d’en parler, c’est énorme! Les jeunes apprécient beaucoup. Car personne ne parle plus de sexualité, il n’y a même plus de cours. C’est un sujet d’actualité plus que jamais. Et tous les jeunes qu’on a rencontré ont été exposés volontairement ou non à de la pornographie. Ça répond à beaucoup de questions, ça enlève beaucoup de pression de performance sur les gars et enleve la pression d’accepter des comportements pour les filles, ça leur fait beaucoup de bien. Quand on va en classe, on ressent cet espèce de soulagement qu’on peut apporter. Juste ça, c’est énorme.»
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Statistiques
– Moins de 10% des femmes portent plainte à la police;
– Près de 50% des femmes attendent 13 ans et plus avant de demander de l’aide dans nos centres;
– 76% des demandes sont liées à l’inceste ou à une agression sexuelle dans l’enfance ou l’adolescence;
– Plus de 50% des femmes ont 30 ans et plus;
– La honte, la culpabilité et les peurs associées à la violence sexuelle peuvent maintenir les victimes pendant très longtemps dans le silence;
– 87% des agressions sexuelles sont commises dans un domicile privé;
– 90% des agresseurs sont connus des victimes;
– 39% des agressions sexuelles sont commises dans un domicile que la victime partage avec l’agresseur,16% au domicile de la victime, 22% au domicile de l’agresseur, 6,3% dans un lieu public ou à l’école, 4% au travail et 1,4% dans les transports;
– Plus de 27% des femmes et des adolescentes demandent de l’aide à un CALACS dans l’année qui suit l’agression;
– 15,3% des agresseurs sont des adolescents.