Fabriquer une pirogue préhistorique : Une première au Canada
Martin Lominy fait de l’archéologie expérimentale. Son projet : fabriquer une pirogue (un bateau fait d’un tronc d’arbre), en utilisant les mêmes outils et les mêmes techniques que les autochtones dans la préhistoire. 13 pirogues ont été retrouvées au Québec, mais c’est la première fois, au pays, qu’on tente d’en reproduire une.
Jean-Louis Courteau, du CIEL (Centre d’interprétation des eaux laurentiennes), nous donne rendez-vous devant la petite église en bois blanc du village, en face du lac des Seize Îles. Il nous amène sur la fermette d’Alexandre Barnes, où se déroule l’expérience. Un chien affectueux et le chant d’un coq nous accueillent, pendant qu’un âne et des vaches paissent paisiblement derrière la clôture. Sous un abri, Martin, Marie et Philippe s’affairent autour d’un gros et long tronc d’arbre, sous l’œil attentif du documentariste Richard Lahaie et de sa caméra. Juste à côté, un feu répand une fumée qui pique les yeux. Ici, on tente de recréer la préhistoire.
L’archéologie expérimentale
Lorsque nous arrivons, la pirogue est déjà bien avancée. Pour creuser le tronc, Martin et son équipe y versent de la braise qu’ils laissent brûler pendant deux heures. Ensuite, ils arrosent la braise pour la refroidir et faire craquer le bois. Enfin, ils grattent et retirent le bois calciné avec un gouge en pierre. Puis ils recommencent.
Chaque cycle permet de creuser environ 0,5 pouce (ou 1,27 cm) dans le tronc. Ils en sont au 30e cycle et viennent d’atteindre le cœur du tronc. De l’argile est appliquée sur les parois intérieures pour éviter qu’elles brûlent aussi. D’ailleurs, c’est Diane Denault, une céramiste locale, qui a préparé la recette d’argile, pour qu’elle résiste au brulis qui peut atteindre 900 ºC.
Comment savoir si c’est bel et bien comme ça que les autochtones s’y prenaient pour fabriquer leurs pirogues? Justement : en le testant.
Par exemple, l’outil qu’utilise Martin pour gratter le bois brûlé est fait d’une pierre polie ficelée à un bout de bois. Mais en archéologie, tout ce qu’on retrouve est la pierre, puisque le bois et la corde se sont décomposés et ont disparu. Alors, comment savoir à quoi servait cette pierre?
La pierre utilisée par Martin a été analysée au microscope avant la fabrication de la pirogue, et sera analysée de nouveau après. Son usure sera ensuite comparée à celle d’une véritable pierre archéologique, pour voir si elle est similaire ou différente.
De la même manière, la pirogue de Martin pourra être comparée aux autres pirogues trouvées au Québec, pour mieux comprendre leur fabrication. C’est pourquoi toutes les étapes de l’expérience sont minutieusement documentées.
Vivre l’histoire
Formé en anthropologie et spécialisé en archéologie, Martin Lominy est passionné par la préhistoire nord-américaine. Avec son entreprise Technologies autochtones (abotec.ca), il reproduit des artéfacts pour fins de recherche et d’éducation. Il offre même des activités de groupe, pour rendre accessibles ces savoir-faire ancestraux.
Pour Martin, ces technologies sont quelque chose de tangible, qu’on peut manipuler, expérimenter et transmettre. Par exemple, son équipe et lui ont tenté plusieurs techniques pour creuser le tronc qui deviendra la pirogue, avant de trouver la plus efficace.
Bien sûr, ils auraient pu creuser le tronc directement avec leurs outils : cela aurait pris le même temps, mais beaucoup plus d’efforts. Et pour un village qui vit de chasse, de pêche et de cueillette, il est plus efficace de laisser le feu travailler à sa place.
De la même manière, lorsque la pirogue sera terminée, elle sera mise à l’eau, lors d’un événement le 15 août prochain où le public sera invité. Martin et son équipe navigueront les eaux du lac des Seize Îles, comme aux temps immémoriaux. « Au péril de notre vie », plaisante l’archéologue.