Faire revivre notre histoire, avant qu’elle ne s’efface
Le village de Shrewsbury a disparu. L’école, le forgeron et la loge orangiste ont été engloutis par la vaste forêt laurentienne. L’église a brûlé en 2014. Tout ce qu’il reste de Shrewsbury, c’est son cimetière. Avant que son souvenir, lui aussi, s’efface, Jean-François Hamilton veut ramener à la mémoire collective l’histoire de ce village de pionniers, dans son documentaire Le Triomphe de la nature.
M. Hamilton s’installe à Gore en 2001. En 2003, un voisin lui prête le roman historique Land Possessed, publié en 1969 par Margaret Cook, qui deviendra le point de départ de sa quête. « C’était vraiment une lecture intrigante. Je réalise qu’elle partageait le même voisinage que moi. En 2014, je suis entré en contact avec sa fille, Elizabeth Cook, et nous sommes devenus amis. J’avais plein de questions, et elle répondait au mieux de ses connaissances. »
Dans le documentaire, réalisé et monté par Daniel Voyer et scénarisé par Alexis Vaillancourt-Chartrand et Janick Roy, M. Hamilton explore l’appartenance à la région et l’occupation du territoire dans le temps. « L’enracinement dans un lieu donne de la stabilité. C’est très rassurant de voir qu’il y a des choses dans la vie qui changent, mais d’autres qui ne changent pas. C’est précieux. »
Elizabeth Cook décède au printemps 2019. « J’ai été chanceux de la saisir au vol, quand elle était encore vivante. On n’aurait pas pu avoir un film aussi riche en détails et en descriptions sans elle. Si elle était morte avant, on n’avait rien, juste le livre. Tout part d’elle. »
Les ruines du passé
Outre le cimetière, dont les pierres tombales sont toujours entretenues, il reste bien quelques fragments d’histoire à Gore, témoignant de l’époque des pionniers. « Il y a encore les fondations de la loge orangiste, au coin des chemins Shrewsbury et Morrison. Si on marche 15 secondes dans la forêt, on tombe dessus. »
Il y a aussi la maison Scotland’s. « C’est la plus vieille maison de Gore qui tient encore debout. Elle a été construite en 1820, et elle aurait 201 ans cette année. » Dans le documentaire, on entend Margaret Cook décrire cette maison déjà vénérable. Cette description riche et belle contraste avec les images de M. Hamilton qui visite cette même maison, aujourd’hui, alors qu’elle est dénudée, délabrée. On comprend que, à moins d’un sauvetage, elle aussi retournera à la forêt avant longtemps.
La forêt reprend ses droits
Lorsqu’on prend la route 329 qui lie Morin-Heights à Lachute, on pourrait croire que cette forêt est virginale, qu’elle a toujours été là. Pourtant… « La forêt de Gore a été défrichée deux, trois, peut-être quatre fois, selon les secteurs. Pendant 150 ans, il y avait des champs partout », rappelle M. Hamilton.
Ironiquement, la seule source de revenus pour les pionniers était souvent la potasse, obtenue en réduisant les arbres en cendre. « Le sol était pauvre. Les familles grandissaient, et ce n’était pas rentable. Il n’y avait pas de moyen de transport facile, pas de chemin de fer. La machinerie se brisait souvent, à cause du sol rocailleux. Donc il y a beaucoup de pionniers qui ont déménagé dans les Cantons-de-l’Est. D’autres sont allés dans l’Ouest, comme au Manitoba. »
Abandonné, le village de Shrewsbury a fini par disparaître. À la même époque, les villages voisins, dont Gore, vivent le même exode. Morin-Heights, qui est dans une situation semblable, connaît plutôt un âge d’or grâce à l’arrivée du train et aux touristes qu’il amène.
–
Le documentaire Le Triomphe de la nature sera présenté gratuitement au Chalet Bellevue à Morin-Heights le 14 novembre, à 14h30.
2 commentaires
Merci M. Cordeau pour ce très bon texte. La maison appartenait effectivement à la famille Scott vers le milieu du 20e siècle d’où le nom de «Scottlands» pour décrire la maison de pionniers (voir la photo ci-jointe). Je ne pourrai passer sous silence le travail formidable d’Hélène Beauchamp, de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, qui tient le rôle de Margaret Cook dans le film. Elle a contribué énormément au projet par ses recherches et par sa démarche rigoureuse. Elle rédige présentement une courte biographie de l’écrivaine qui devrait paraître le printemps prochain. À suivre…
Trés intéressant ! Est-ce qu’on peut acheter le documentaire sous forme DVD ?