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Je me souviens

Par Jean-Claude Tremblay

Aujourd’hui, j’ai le privilège de pouvoir témoigner de mon expérience avec la maladie d’Alzheimer. C’est une magnifique opportunité de faire un clin d’œil du cœur à ma grand-mère et à ma mère, qui ont toutes deux successivement vécu cette épreuve de vie.

Je ne ferai pas semblant que ça a été facile. Cette maladie, c’est une bombe nucléaire – les radiations sont lentes, longues et puissantes ; trois qualificatifs qui prennent tristement tous leurs sens lorsque l’on est exposé aux émissions. Le pire dans la radioactivité, c’est qu’aucun expert ne peut affirmer avec précision quand ses effets dévastateurs baisseront en toxicité, mais on doit vivre et continuer.   

La genèse

On se doutait tous que quelque chose clochait, surtout à partir du moment où les appels de ma mère sont passés progressivement d’un ou deux par semaine, à quatre à sept par jour, avec les mêmes propos, teintés par une inhabituelle agressivité en crescendo. Juste avant que l’on se rende éventuellement à 40 appels quotidiens, j’amenais celle qui m’a donné la vie voir le médecin qui lui a rapidement diagnostiqué un arrêt de la sienne. En un instant, tout a basculé, et c’est dans cet étroit couloir de lucidité que ma mère à du affronter la nouvelle, vraisemblablement horrifiée d’apprendre qu’elle allait tout comme sa mère avant elle, finir par tout oublier.   

Les épreuves

La route est longue et sinueuse au pays de la démence, et nombreuses sont les surprises dans les courbes. Je me souviens qu’au début ma mère s’était perdue en auto avec mon enfant de cinq ans pendant deux (interminables) heures. J’avais ensuite dû l’inciter à arrêter de conduire, et avant longtemps, elle ne pouvait plus rester seule dans son appartement. Ne plus se souvenir comment allumer sa télé est une chose, mais quand votre mère contacte la Sûreté pour rapporter une agression armée qui n’est jamais arrivée, c’est une autre chose. Pas de place en CHSLD… et hop, au privé subventionné, qui lui ne veut pas de problème et l’envoi régulièrement à l’urgence de l’hôpital, dès que ma mère semble déranger. Boule de neige et appels de l’hôpital en pleine nuit pour que je vienne signer l’autorisation de « contentionner » celle qui avait déjà été ardemment droguée, faute de personnel pour s’en occuper sur le plancher.

Sans m’en rendre compte, c’est le métier d’aidant naturel qui s’est imposé, et j’ai appris un nouveau langage très particulier : Rivastigmine, errance, contention, ressources intermédiaires, unité prothétique, psychiatrie, soins palliatifs, dignité.

Entre une mère qui ne replace plus son fils unique, et une grand-mère amoureuse de ses petits-enfants qu’elle ne connaît plus, on apprend la résilience, mais surtout le travail sur soi. Au final, j’ai conclu que ces personnes sont des enseignants qui nous apprennent l’estime et le mieux-être, car le regard que l’on pose sur elles et nos sentiments profonds ne sont que le reflet de notre propre perception face à la vie. En substance, le processus de deuil perpétuel que représente la maladie d’Alzheimer n’est qu’un appel à la compassion et un choix — nous pouvons la vivre dans la peur, ou dans l’amour. Lorsque ma mère s’est paisiblement éteinte, je lui ai tenu la main avec sérénité et tendresse en lui disant merci pour cette épreuve du destin, oui, je me souviens.

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