Moments d’émotions au lac Rond!
Par claude-jasmin
C’est un dimanche de soleil tombant, il est 17h. et j’ai les ongles noircis d’un nettoyage au sol. Aller ensuite s’allonger sur le transat de la galerie pour souffler et… soudain, des cris au ciel! Cinquantaine d’oiseaux dans le ciel adélois! En formation de «V». Ils sont donc revenus! Beaux canards criards. De quelle espèce?, outardes? Mon ignorance en «zoiseaux» même si j’ai beau me plonger souvent dans les magnifiques albums du couple Jean Léveillée… Aux éditions de l’Homme; ne les regardez pas en librairies, vous serez pris pour les acheter!
Le chef de file a commandé une pause? Voilà les geignardes bestioles qui plongent un après l’autre dans l’eau du lac Rond récemment «calé» de sa glace. Sillages d’écume blanche à chacune. Vite, mes jumelles! Émotions, la beauté ailée! Comme nos gens qui rentrent de Floride, ces canards rentrent aussi. «Go, go north!» Spectacle mirifique et gratuit à l’affiche du lac pour trente minutes seulement, hélas.
En mai 2007 donc, encore et toujours le beau rituel ailé, la vie animale qui ignore les dangers de la pollution partout. Mes lilas se retiennent mal d’éclater, gros bourgeons qui grandissent. Demain le feuillage. Bientôt mes pivoines blanches et roses au bas de l’escalier, les fleurs chéries du grand Manet! Mes chèvrefeuilles partout vont se garnir de fleurettes roses et rouges. Ma Raymonde fera de nouveau ses chères corbeilles. Ah ce juin multicolore! Quoi?, le lendemain, triste nouvelle de mon cher «Petit poucet»: incendié dans la nuit qui suit l’envolée ravissante! La vie, la vie…
J’avais accroché un neuf fleurdelisé au mat-tuyau du rivage, j’avais formé de lourds fagots de branches tombées des saules, redressé ma sirène de papier-mâché au rivage, mis à l’eau le bleu pédalo, nettoyé le canot rouge à la peinture écaillée, redressé en bouquets les touffes de beaumiers écrasées, ouf! Et ce sera cette étonnante apparition céleste, cette «flottille» ailée, sauvage, avec ses cris intrigants. Une volière de liberté totale, tout le ciel bleu!
Moments de grâce donc, moments d’émotions vives. Trop brèves minutes d’admiration quand la sauvagerie rend visite subitement, sans s’annoncer, nous apportant une sorte de nostalgie toute enfouie en chacun de nous. Celle d’un temps où la nature régnait sans les hommes tout autour. Nous devinons ces temps anciens avec, toujours, ces canards en voyage de retour. Dans quelle contrée vierge s’en vont-ils nicher? Ainsi le citadin en villégiature, le villageois installé en mille conforts et commodités fait face à un aspect de «l’éternel retour», selon Nietsche. «Le moderne» citoyen redécouvrant les très antiques coutumes d’un naturalisme sans cesse indompté.
Ce dimanche ordinaire comme transformé pour quelques minutes. L’étonnante surprise d’un vol très animé qui surgit… venant d’on ne sait pas trop où, allant on ne sait pas trop où. Ils repartiront. Pourtant chaque été la surprise d’en voir deux ou trois qui nagent aux rivages. Restés ici pourquoi, comment? Qu’avons-nous à rester des inconsolables d’un naturalisme jadis abondant, fécond et qui, hélas, se raréfie? Souvenir tout au fond de nos gènes? Souvenir d’un paradis terrestre perdu? De cet Éden décrit dans les livres anciens, «jardin» jamais connu? Celui d’un temps «d’avant nos progrès», pourtant si nécessaires, en tous cas que l’on croit indispensables.
Ces émotions de ce dimanche-à-outardes nous viennent sans doute de loin et on a le droit de songer aux pionniers, aux intrépides ancêtres qui s’installaient avec vaillance sur tous les bords du grand fleuve, des rivières et des lacs avec seulement une hache, une bêche, une scie. Et tant de terre en «bois debout» à défricher. Ô millions d’abattis de nos commencements! Alors en ce beau dimanche, j’ai songé à Aubin Jasmin, venu du Poitou vers 1700, les ongles noircis, les mains calleuses, qui, soudain, lui aussi, aperçoit, derrière le village de Saint-Laurent, la sauvage volière mirifique. Plein les oreilles de ces cris perçants, ceux d’une grande réunion céleste voletante. Aubin ira chercher sa carabine, il doit manger. Moi, dimanche, je soufflais dans un confortable transat moderne car Raymonde prépare de son délicieux «osso bucco».
Lui, Aubin, sa femme s’active à l’étable, ou à l’écurie, car sans le cheval percheron importé de France, demain, lundi, pas moyen d’aller au marché pour la vente de leurs légumes. Nous tous… avons le marché moderne très fourni et pas loin. Alors, on a tout notre temps de pâmoison face au ciel rempli de crieurs ailés. On a le temps de «seulement» admirer la majesté indépendante de ces beaux voyageurs. Nos enfants pas encore nés, nos petits-enfants à venir, verront-ils aussi de ces spectacles naturalistes? Oui, oui: nous prenons l’engagement de tout faire pour que la nature environnante reste vivante, n’est-ce pas? Il faut que dans 20 ans, dans 50 ans, un regard nouveau s’étonne, tout ravi et voit «le voyage de la beauté», celui de ce dimanche. On y arrivera bien citoyens alertes, et cela malgré «le mou» des conservateurs à la vue toute courte, «le mou» de ceux qui nous gouvernent «à droite», qui ne songent qu’aux profits immédiats, tels ceux du gaz et des sables bitumineux à l’ouest, très à l’ouest du lac Rond; suivez on regard et ainsi faisons loucher tous les Harper de cette terre!