Monique Lépine: Survivre à la douleur

Par Marie-Catherine Goudreau

«Mon fils s’est enlevé la vie, mais il m’a laissé l’odieux de tous ses gestes.» Voilà le fardeau que porte Monique Lépine en son cœur depuis 25 ans. L’horrible crime qu’a commis son fils le soir de la tuerie de la Polytechnique est impossible à oublier. Mais aujourd’hui, à 77 ans, elle s’accorde de vivre pleinement la dernière saison de sa vie.

Le soir du 6 décembre 1989, alors qu’elle apprend le terrible drame qui vient de se passer, elle demande au groupe de prières duquel elle fait partie, de prier pour la mère de ce jeune criminel qui vient de mettre dans le deuil de nombreuses familles et ami-e-s. Elle ne sait pas encore qu’elle demande une prière pour elle-même.

Ce n’est que le lendemain qu’elle apprendra la terrible vérité. «Le 6 décembre 1989 a détruit ma vie, exprime-t-elle. Mon fils, Marc Lépine, a assassiné quatorze étudiantes avant de s’enlever la vie. Je le dis froidement, comme si le drame était désormais derrière moi et que j’en suis aujourd’hui détachée. Impossible! La culpabilité me ronge toujours.»

C’est dans le contexte des 12 jours d’action pour lutter contre la violence faite aux femmes organisé par le Centre des femmes de Lachute, que je suis allée écouter Monique Lépine livrer le dernier témoignage qu’elle donnera publiquement. Depuis huit ans, elle se raconte à travers des conférences, elle rencontre les familles de criminels, les familles de victimes… Comment cette mère a-t-elle réussi à traverser une telle épreuve?

Des années plus tard…

La tragédie de Dawson en septembre 2006 a sorti Mme Lépine de son enfermement. Elle ressentait tant la douleur de cette mère dont le fils venait d’abattre une personne et en blesser plusieurs autres avant de s’enlever la vie, qu’elle a compris qu’elle devait sortir de l’ombre pour tendre la main aux familles des victimes qui comme elle, vivaient l’incompréhensible. «Les mots les plus simples ne pourront jamais décrire tout ce que je ressens depuis toutes ces années. Je souhaite seulement qu’en partageant ces souvenirs et leur transformation salutaire, vous trouviez vous aussi la force de traverser les épreuves qui vous accablent», confie celle qui est demeurée confinée dans la honte et la culpabilité pendant 17 ans.

La spiritualité pour se relever

«La spiritualité est en chacun de nous. Elle n’est pas reliée à la religion, même si on choisit de se recueillir dans une église. Je crois en Dieu, pas dans les religions. La prière m’a aidée à me relever de l’épreuve que m’ont fait subir mes enfants» se confie-t-elle. Car après son fils, c’est sa fille Nadia qui est morte dans ses bras, après avoir fait une surdose de drogue, pour en finir avec sa douleur de vivre.

Quelle sorte de mère étiez-vous donc?

Cette accusation gratuite souvent entendue, a permis à Monique Lépine de comprendre qu’en fait, les jeunes femmes de la polytechnique lui ressemblaient. Elles avaient elles aussi décidé de prendre leur place dans un monde trop masculin. Marc Lépine les comparait-il à sa mère? Lui en voulait-il sans jamais lui avoir dit? Il a malheureusement emporté avec lui ses secrets.

Monique Lépine était infirmière. À sa pré-retraite, elle donnait des conférences sur sa profession. Bien qu’ayant vécu une vie familiale douloureuse, 9e d’une famille de 10, elle avait réussi malgré tout à étudier pour devenir une femme éduquée.

Puis elle est devenue une maman monoparentale après son divorce d’un mari violent. Une maman qui avec ses enfants de 3 ans et 5 ans et son diplôme en poche, a dû confier ses petits pour subvenir aux besoins de sa famille éclatée.

Comment un enfant comprend-il une transformation de vie à peine expliquée? Comment avance-t-on sans exprimer ses douleurs, ses peines, ses frustrations? Est-ce l’explosion dans la démesure, le jour où on s’accorde ce droit?

Demander pardon

Au nom de son fils, Monique a demandé pardon aux parents et aux amis des victimes de la tuerie. Sa douleur ne disparaîtra jamais. En plus de prier pour toutes ces personnes endeuillées, elle pleure sa fille et son fils – un criminel. C’est en plongeant au plus profond de ses entrailles, lorsqu’elle a atteint le fin fond du baril et se croyait près de la mort que soudain la lumière a jailli de l’intérieur, qu’une «voix» lui a soufflé qu’elle avait encore une mission à accomplir. Par cette «main» qui s’est tendue pour l’aider à se relever devant l’indicible et l’invisible, une force et une volonté se sont déployées en elle pour la soutenir sur la suite de son chemin de vie.

La spiritualité c’est ce en quoi l’on croit et qui nous permet d’avancer vers quelque chose de plus grand, d’immatériel, qui touche l’esprit et l’âme.

Aujourd’hui, Monique Lépine, sans oublier, se tourne vers elle-même pour vivre la dernière saison de son existence, pleinement, enfin.

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