Qui suis-je?

Par Marie-Catherine Goudreau

Maria, ma grand-maman que j’adore, m’a dit un jour ceci: «Voyons ma grande cesse de te tourmenter avec ton âge, arrête de te préparer à avoir quarante ans… prépare-toi plutôt à vivre les plus belles années de ta vie».

Je me souviens de l’avoir regardée avec les yeux écarquillés et l’envie folle de lui dire oui mais grand-maman nous les femmes de ma génération…

Pour une des rares fois de ma vie, je me suis tue. Mais. J’aurais voulu lui dire…

Que.

Tu sais grand-maman le bonheur pour ma génération c’est une quête perpétuelle d’autre chose. Un autre Dieu, une plus grosse maison, un autre mari, un amant plus jeune, une plus grosse job, une pelouse plus verte, le meilleur psy en ville, des enfants aux noms et prénoms composés, il faut tester tout, goûter tous les alcools et les bouches… MANGE.

On veut trouver la Foi et trouver son point G; on veut pratiquer la simplicité volontaire et devenir millionnaire. Ce qui compte ce n’est pas de chercher mais de trouver le bon chemin à emprunter pour être libre et c’est drôle c’est jamais sur le chemin qu’on marche donc, on change de voie comme on change de chums. On accumule les échecs comme autant d’étapes vers le bonheur.
Être heureux, c’est honteux; ce n’est pas de collectionner les aventures qui est indécent, c’est d’affirmer son Bonheur trop fort. Le désespoir est «in», le malheur est chic, on porte nos remises en questions à la boutonnière; le «mal-être» est en spécial chez Métro cette semaine.

Tu sais grand-maman, les femmes de ma génération se questionnent beaucoup sur tout. On se remet en question continuellement et l’on remet tout en question. Il faut dire que le pire nous guette: messemble qu’enfant, les mamans n’avaient pas le cancer du sein à 40 ans. C’est peut-être un peu normal de ressentir l’urgence de vivre la vie que l’on croit que l’on mérite. Mais. Il est tout là le problème grand-maman: on est des enfants devant un stand à bonbons, on veut tous les goûter, remplir nos poches le plus possible et le plus vite possible. Mais. Malheureusement Dieu ne s’achète pas au dépanneur. PRIE.

Oui, on se questionne sur tout. Le malheur n’est pas là, le malheur n’est pas une question; c’est plutôt l’obsession de la Réponse qui l’est. Et si la vérité n’était pas noire ou blanche, et si la réponse n’était pas une piscine plus grosse, un mari plus mince ou un voyage en Inde? Et si la Réponse était la Question, justement. Tu vois grand-maman, nous on veut la Réponse et on est prêts à tout pour l’avoir, à tout balancer s’il le faut; on croit dur comme fer qu’il faut «tout briser pour tout reconstruire »… au final malheureusement on fait surtout ramasser les débris d’une vie en éclats. Puis on se cherche, puis on se cherche dans le regard de l’autre. Et quand on reconstruit quelque chose c’est souvent le même château de carte, il est simplement ailleurs…

On peut-tu faire simple? Messemble que la vérité n’est ni noire ni blanche: elle serait plutôt gris-clair. Peut-être. J’aime croire que le chemin vers la liberté n’est ni en position du lotus, pauvre et dénudé; ni dans l’accumulation effrénée de bien matériel. Se peinturer les orteils avec du cutex Chanel, fait-il de l’ombre nécessairement à la quête de Lumière? Décrocher de la société de consommation fait-il de nous nécessairement des êtres plus spirituels? La vraie superficialité n’est-elle pas là: dans ces jugements faciles?

Ouf!

Tu vois grand-maman simplement à essayer de t’expliquer la complexité de la «femme» de quarante ans d’aujourd’hui, ça m’épuise, ça m’essouffle, ça m’étourdit. Tu comprends pourquoi c’est si difficile de vieillir, de «voyager léger»…

Le formidable succès du livre de Mange, prie, aime (Eat, Pray, Love), de l’auteure Elizabeth Gilbert, vendu à plus de sept millions de copies et traduit en 31 langues – l’un des plus gros succès littéraires des 50 dernières années – est la preuve que le sujet nous interpelle au plus haut point, à la fois collectivement et intimement.

Le film qui vient tout juste d’arriver sur nos écrans nous crache, lui aussi, au visage cette réalité: celle du désir d’autre chose, celle de la certitude que le bonheur est peut-être ailleurs. Il nous apprend que pour être heureux il faut être libre, et que pour être libre, il faut parfois tout risquer. Partir, tout laisser derrière soi pour mieux se trouver.

Tu vois grand-maman, ni toi ni moi n’avons appris à être libres; au contraire toute notre éducation, notre scolarité, nos références, nous ont soufflé que le bonheur était dans la conformité, dans la norme. Pas étonnant qu’on soit bouleversé, oui bouleversé devant l’audace et le vertige que propose cette œuvre. Elle, elle a osé. Et son histoire nous oblige à nous questionner sur notre propre existence: me suis-je trompée d’histoire? Est-ce bien ma vie que je vis?

Dans cette salle de cinéma, obscure et bondée, où j’étais avec une dizaine d’amies la semaine dernière pour voir ce film, j’aurais aimé avoir Maria à mes côtés. J’aurais aimé lui dire: toi, grand-maman, t’es-tu posé ces questions-là? Nous autres, on est-tu trop compliquées?

Je l’entends: «Pauvre tite-fille…»

AIME.

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