«Tant que deux syndicats représenteront les médecins, ça n’ira pas mieux» – David Levine
Par Luc Robert
« En 1975, quand j’ai commencé, j’étais un vrai directeur général de santé (au CLSC). De nos jours, ils sont devenus des gérants d’établissements hospitaliers, qui doivent équilibrer des chiffres ». Voilà le triste constat qu’établit l’ancien ministre délégué à la Santé sous la gouverne de feu Bernard Landry, M. David Levine, qui réside maintenant à Wentworth-Nord.
Après avoir été recruté en 1998 comme DG du nouvel hôpital d’Ottawa, il a aussi œuvré à la présidence de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Ses expériences variées lui confèrent un recul pour évaluer l’évolution du milieu actuel.
« De nos jours, la Santé publique prend des décisions complexes, sous pression politique, même si elle se dit indépendante. D’un côté, les DG des CISSS craignent de se faire dire qu’ils ont utilisé des moyens coercitifs, et de l’autre, ils craignent des contrecoups s’ils ne bougent pas. Les hauts fonctionnaires sont nommés par le gouvernement (dont Dr Luc Boileau) : ils leur sont inconsciemment redevables. »
M. Levine aime utiliser la situation des médecins pour illustrer l’inconfort des dirigeants.
« Le gouvernement ne s’aide pas dans les discussions avec les médecins de famille, en disant qu’ils ne travaillent pas assez fort : ça irrite. Même scénario quand on entend que, parce que les salaires ont été haussés, ces omnipraticiens doivent offrir plus de disponibilités. La pression devient trop forte. Ils ne se sentent pas valorisés, ils se dirigent vers des horaires de trois jours ou encore ils prennent leur retraite plus vite. »
M. Levine suggère d’utiliser encore plus les services de super-infirmières pour palier au personnel restreint.
« Ça prend trop de temps à former un médecin, alors que les besoins sont criants, dès maintenant. Utilisons les ressources plus adéquatement. Les infirmières régulières ont aussi des notions suffisantes pour en faire plus. Mais encore ici, elles doivent être valorisées, pas seulement à coups de primes incitatives. »
M. Levine jette un regard froid et lucide sur la situation qui prévaut en santé au Québec, en pandémie.
« Si la réforme Barette a été néfaste avant, la suite n’a guère été mieux depuis. Ça coûte souvent très cher de prendre des initiatives ou de faire bouger des choses. Les CLSC n’ont jamais eu de ressources suffisantes. J’ai prôné pendant des années de sortir les équipements des hôpitaux, pour établir des diagnostics ailleurs. Ça a pris du temps avant que les ultrasons soient autorisés à l’extérieur des hôpitaux. J’explique en long et en large des pistes de solutions pour s’en sortir, dans mon livre, mais ils ne m’ont jamais écouté. »
David Levine a en effet publié en juin 2015 l’essai Santé et politique, un point de vue de l’intérieur, 378 pages, aux éditions Boréal.
Ayant évolué tant sous l’égide des libéraux que des péquistes, il a été candidat électoral défait à deux occasions, dans les circonscriptions de D’Arcy-McGee en 1979 et de Berthier en 2002.
« Tant que la santé restera un monstre à deux têtes, ça n’ira pas mieux. Nous sommes la seule province canadienne où il existe deux syndicats, à savoir la fédération des spécialistes et celle des omnipraticiens, qui évoluent dans le même milieu. Et presque tout le temps, ces syndicats gagnent face au gouvernement. Dans ces conditions, il reste délicat de bouger sans déplaire à l’avis du public ou de froisser les professionnels de la santé. »
Le résident de Wentworth-Nord a-t-il l’intention de reprendre le collier, à 74 ans, avec ses multiples idées ?
« Je suis étudiant en sculpture, à l’école des Beaux-Arts. J’aime la quiétude de vivre en périphérie », a achevé celui qui a notamment été pressenti pour se présenter au niveau municipal face à l’ex-maire François Ghali, en novembre 2021, mais qui a préféré demeurer en retrait.