Vieillir

Par Mimi Legault

CHRONIQUE

Je me présente : Arthur. J’ai toujours dit que je porterais mes 80 ans comme une fleur à la boutonnière. Et c’est ce qui s’est produit ! Néanmoins, certaines choses n’ont pas évolué comme je m’y attendais. Par exemple, les tissus d’aujourd’hui ne sont pas comme avant. Mes complets en sont la preuve : ils ont tendance à rétrécir à la taille et le fond de mon pantalon aussi. Pire, les lacets de maintenant sont beaucoup plus difficile à atteindre.

J’ai remarqué qu’on utilisait des caractères d’imprimerie beaucoup plus petits. C’est quoi cette nouvelle manie-là ? Le journal s’éloigne de plus en plus de moi quand je le tiens, ça me crève les yeux. Il faudra que je leur écrive un mot à ce sujet. Mon épouse m’a proposé que notre fils aîné vienne me lire à haute voix les mauvaises nouvelles du jour. Ce n’est pas pour le critiquer, cela peinerait trop ma tendre moitié : j’ignore ce que Junior a, mais sa voix est soudainement devenue beaucoup plus faible qu’avant. Résultat : je le comprends à peine !

Il faudra aussi que j’en glisse un mot au maire de notre ville, parce que le trottoir que je foule à chaque matin depuis des décennies est devenu deux fois plus long qu’avant ! Ils ont même ajouté une petite pente que je n’avais pas remarqué auparavant. Même Madame la Météo a changé de caractère : je trouve les hivers encore plus froids et les étés deux fois plus chauds. Et cette neige : pourquoi est-elle de plus en plus lourde sur ma pelle quand je la passe sur mon balcon ? Et les courants d’air me forcent désormais à ajouter sur mes épaules une petite laine fort bienvenue. Ça doit être à cause du matériel dont les fenêtres sont désormais faites.

Je suis allé dernièrement à un conventum d’anciens de l’université que j’ai fréquentée. Y a-t-il eu une épidémie, parce que la plupart des mes collègues sont morts ! Aie ! Excusez mon cri, c’est parce que mon vieux matelas me cause des ennuis de dos. Je veux en acheter un autre, mais ma femme me jure qu’il est neuf. Je ne la crois pas parce qu’entre vous et moi, Doudou, comme j’aime l’appeler, perd un peu la notion du temps. Je ne veux pas lui faire de la peine. Ou bedon, c’est que les matelas d’aujourd’hui ne valent pas une claque !

Contrairement à d’autres, je trouve que la jeunesse d’aujourd’hui est davantage polie. La preuve, les jeunes me vouvoient à tour de bras et certains poussent même le respect en m’offrant leur bras pour traverser la rue ! Puisque je vous le dis !

Je suis passé devant un bar que j’ai longtemps fréquenté. Fernand, un vieux pote à moi, sirotait un verre. Tu as engraissé, Arthur ! C’est à cause de la cuisine moderne, ai-je répondu. Je me demandais à quand remontait notre dernière rencontre. C’était aux dernières élections en 1976, que mon ami a décrété. Ah bon, s’il le dit. J’ai commandé un martini comme dans le temps. As-tu remarqué Fern ? L’alcool de nos jours ne goûte quasiment plus rien comme avant. Ah, le bon vieux temps, Arthur !!! Tu te souviens de toutes ces tournées ici ? Quel danseur tu étais… Danses-tu toujours ? Non je suis trop lourd. C’est à cause de la cuisine moderne. Je le sais, tu viens de le dire, me répond mon ami. Ah oui ? Que dirais-tu d’un deuxième verre ? En sirotant mon second martini, je lui ai fait remarquer qu’il ne goûtait pas comme avant. Je sais, tu viens de le dire !

Pauvre Fernand, voilà qu’il radote maintenant. Il fait de la capine que ma Doudou dirait… Je n’ai pas hâte de lui ressembler. En me rasant le lendemain matin, je suis resté immobile en me regardant dans la glace. Décidément, que je me suis dit, la qualité des miroirs n’est plus ce qu’elle était…

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