Intelligence artificielle
D’une simple recherche Google à votre assistant vocal, en passant par les centres d’appel, les diagnostics médicaux et votre demande de prêt bancaire, l’intelligence artificielle est omniprésente dans notre quotidien. Quel impact cette technologie a-t-elle sur les emplois d’aujourd’hui et de demain? Discussion avec Simona Gandrabur, Ph. D., directrice principale de la Stratégie intelligence artificielle et innovation à la Banque Nationale.
« La notion d’intelligence artificielle est floue et relative. Elle change avec la perception et avec le temps », précise Mme Gandrabur d’entrée de jeu. Essentiellement, l’intelligence artificielle (IA) permet de résoudre un problème ou d’accomplir une tâche complexe, grâce à un algorithme : une suite de règles et d’opérations guidée par des données. Par exemple, pour gagner une partie d’échecs, une IA doit savoir comment jouer (les règles), évaluer les coups qu’elle peut jouer (les opérations), puis déterminer quel est le meilleur coup selon la position de l’échiquier (les données).
Mais la définition exacte de l’intelligence artificielle demeure floue, parce que les tâches qu’elle peut accomplir et comment elle les accomplit changent au fur et à mesure que la technologie évolue. Avec les premières IA, les règles et les opérations étaient écrites par un programmeur, ce qui limitait leurs possibilités. Aujourd’hui, avec des techniques comme l’apprentissage profond (deep learning) et les réseaux neuronaux, c’est l’IA lui-même qui trouve la meilleure manière d’accomplir la tâche. « Ce sont des systèmes qui doivent apprendre à partir d’exemples. Puis ils répondent à une situation à laquelle ils n’ont pas été exposés et doivent « improviser » en quelque sorte. »
La boîte noire
Cette nouvelle technologie est très puissante. Elle permet à Google Maps de trouver le trajet le plus court jusqu’à votre destination, à Facebook de reconnaître votre visage dans une photo, et à Spotify de vous faire des recommandations personnalisées.
Pour les entreprises, elle est aussi de plus en plus présente et utile. « Son premier rôle est d’automatiser les choses faciles. Le second est de donner des outils puissants, pour que les interventions humaines aient un impact encore plus grand », explique Mme Gandrabur.
Mais il peut y avoir un hic. Certains algorithmes sont si complexes qu’ils sont des « boîtes noires ». « On ne comprend pas leur raisonnement. On n’est pas capables d’expliquer pourquoi ils ont pris telle ou telle décision. »
Dans plusieurs domaines toutefois, il y a une « exigence d’être en mesure d’expliquer », comme dans le domaine bancaire qui est étroitement règlementé. « Si le modèle refuse le crédit à telle personne, tu peux voir les facteurs qui ont influencé sa décision », donne en exemple Mme Gandrabur.
Et même si on ne comprend pas chaque étape de leur raisonnement, ce n’est pas une raison pour ne pas leur faire confiance, estime celle qui travaille avec l’intelligence artificielle depuis 20 ans. « C’est comme un spécialiste, disons un chirurgien, qui prend ses décisions de manière intuitive, à partir d’analyses inconscientes, informé par beaucoup de signaux et l’expérience du passé. Je veux le meilleur chirurgien possible, même s’il n’arrive pas m’expliquer chaque petit pas qu’il fait », illustre-t-elle.
S’adapter
Malgré les progrès prodigieux de l’intelligence artificielle ces dernières années, Mme Gandrabur précise que cette technologie n’est pas fondamentalement différente des autres. Internet, l’informatique, l’industrialisation, même l’invention de l’imprimerie au 15e siècle ont transformé notre manière de travailler. Certes, ces technologies ont rendu certains emplois inutiles, mais elles ont aussi créé de nouvelles opportunités.
« La différence avec l’intelligence artificielle, c’est que ça se passe rapidement, donc il y a moins de temps pour s’adapter. Il est possible que, sur une génération, des gens doivent se respécialiser. Ça met aussi de la pression sur les professionnels, qui doivent s’adapter aux nouveaux outils et à des conditions de travail différentes. Il y a un constant besoin de se renouveler », explique la spécialiste.
La peur du changement
Comme les technologies qui l’ont précédée, l’intelligence artificielle peut inquiéter. Quel impact aura-t-elle sur nos comportements, notre manière de penser et notre capacité à réfléchir et à se souvenir?
Mme Gandrabur comprend cette inquiétude. « Lorsque je conduis mon auto, Google Maps me guide automatiquement. Et quand je réalise que je suis arrivée, sans savoir comment je m’y suis rendue, je me trouve limitée », admet-elle.
Mais avant nous, rappelle-t-elle, le penseur suisse Conrad Gessner s’inquiétait de la surabondance d’information, de la con-fusion et des dommages causés par… l’imprimerie! Même le philosophe Platon craignait que l’écriture, une invention alors nouvelle, rendrait la jeunesse oublieuse, parce qu’elle n’aurait plus à se servir de sa mémoire.
« L’humain s’adapte aux nouveaux outils. Il les intègre, et ça lui permet de s’attaquer à la prochaine chose », conclut Mme Gandrabur.