Architecture : vivre dans la nature et ses silences
La forêt presque vierge de Wentworth-Nord a l’air enchantée, colorée par l’automne. Nous sommes en route pour visiter Le Grand Plateau, une maison signée par l’architecte Pierre Thibault, aux Domaines du Lac St-Victor. Les propriétaires, Pierre-Charles Boucher et son conjoint Claude, ont accepté de nous ouvrir leur porte.
Lorsqu’on arrive, seule la grande terrasse dépasse du sol, avec une passerelle pour s’y rendre. « C’est comme une invitation à venir découvrir. Tu te sens appelé », indique Pierre-Charles. À mesure qu’on traverse la terrasse, une vue magnifique sur le lac et la forêt s’ouvre et nous accueille. Pour un instant, il n’y a que la nature et vous. Et on dirait que la maison a été placée là, « glissée entre les arbres », pour vivre dans ce paysage.
La nature

Pour l’architecte Pierre Thibault, c’est d’abord le territoire qui guide l’architecture d’une habitation. « On aimait sa simplicité, sa sobriété et son élégance. Et la communication avec la nature, ça nous a toujours touchés », souligne Pierre-Charles. Il parle aussi de Jérôme Lapierre, l’architecte attitré à leur projet, comme de la « mère porteuse » de la maison.
Ici, la maison est construite dans une pente escarpée. Elle surplombe le lac, mais est discrètement nichée entre les arbres matures. Perchée sur des pilotis très fins, elle donne l’impression de flotter. À l’intérieur, le grand mur entièrement vitré du fond encadre cette vue et sa nature changeante. L’été, c’est un « rideau de verts », qui change déjà de couleurs avec l’automne. L’hiver venu et les feuilles tombées, la vue s’ouvre complètement. On peut alors voir la cime des montagnes, à 180 degrés, explique Pierre-Charles. « C’est ma saison préférée ici, parce que tu as des blancs, des lavande, des bleu pâle et des gris pâle. C’est super beau avec la neige. »
Cette vue unique sur le lac a rendu évidents tant l’emplacement que le concept de la maison, raconte Pierre-Charles. « Pierre [Thibault] a été tellement inspiré. Le premier croquis, il l’a fait ici, sur le capot du char ! Et il a dit : « Ça va être ça. » D’habitude, un architecte te propose deux ou trois trucs. Finalement, un mois après, le concept, c’était ça. C’était réglé. »
La maison a été construite en 2014, après un processus de deux ans. Pierre-Charles était sur le chantier trois à quatre jours par semaine, pour peaufiner les détails avec l’architecte et les contractants. « C’était mon bébé. Et il faut prendre le temps, en architecture. C’est de la création. »
Depuis leur retraite, il y a 4 ans, le couple habite la maison à temps plein. Leur terrain compte 15 acres, et il y a aussi 25 kilomètres de sentiers aménagés sur le domaine, idéaux pour la randonnée, le ski de fond ou la raquette. « On a ce qu’il faut pour s’amuser. » De plus, il n’y a que six autres propriétés autour du lac, mais il faut examiner la forêt pour en apercevoir une ou deux. Un long escalier de bois, qui serpente entre les arbres, permet de descendre au quai, pour la baignade, le canot ou la planche à pagaie.
Les silences

Partout sur la propriété, l’aspect paisible des lieux nous enveloppe. « Tu as le vent qui passe. Tu entends les oiseaux », illustre Pierre-Charles. Il se décrit comme un contemplatif, et prend plaisir à observer la nature qui l’entoure et ses transformations au fil du temps. « Juste de voir la lumière qui change avec les saisons, les ombres que ça fait dans la maison : c’est magnifique. C’est comme un théâtre d’ombres », ajoute-t-il.
Pour favoriser cette contemplation, le design de la maison a prévu de nombreux silences. « En architecture, un silence, c’est comme un retrait. » La terrasse sur le toit, par exemple, a de larges espaces laissés vides tout autour de la pièce moustiquaire, au centre. Donc lorsqu’on est au centre, « il n’y a absolument rien qui arrête le regard ». De plus, ces espaces vides créent une distance entre soi et la nature. « Quand tu as du recul par rapport à une chose, tu l’apprécies toujours mieux », illustre Pierre-Charles.
Un autre exemple est le grand hall d’entrée, laissé vide. S’agit-il d’un espace perdu ? « Les gens nous disaient : vous allez mettre quelque chose ? Une table, un bouquet de fleurs ? Les gens ont peur du vide. » Au contraire, cet espace ouvert permet ce recul propice à la contemplation. Et ce silence « participe à toutes les pièces » : il leur donne une vue dégagée et un espace pour respirer, au coeur de la maison. « Tu as de la place pour penser. Pour vivre. »
Ces silences architecturaux se retrouvent aussi, subtilement, dans les moulures au pied des murs, dans les armoires de la cuisine, etc. Des petits espaces sont laissés vides pour permettre au reste de se détacher et d’être mis en valeur.
Cette philosophie se reflète aussi dans les volumes. Entre la salle de bain et le bureau, par exemple, le mur forme comme un grand bloc blanc, laissé nu. Avec la moulure en retrait, on a l’impression qu’il flotte. « Je pourrais mettre un tableau dessus. Mais ce n’est pas le tableau que je veux voir : c’est ce volume. Je le trouve magnifique. Il y a une force là-dedans. »
L’intérieur extérieur

Dans la maison signée par Pierre Thibault, il y a aussi « tout un brouillage entre ce qui est en-dedans et en-dehors », souligne Pierre-Charles. « Dans toutes les pièces de la maison, on est en communication constante avec l’extérieur. »
Avant d’entrer dans la maison, on arrive d’abord dans une pièce qui n’en est pas une. Au lieu d’un quatrième mur, un pan de la pièce donne directement sur la forêt. Une table et des chaises offrent un espace pour dîner ou déjeuner, et un petit foyer au bois permet de rester au chaud. On peut refermer la pièce avec un grand moustiquaire coulissant. Mais sinon, on a l’impression d’être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur : à l’abri sous le toit, mais ouvert sur la nature.
Comme les murs ne sont pas porteurs (la maison est supportée par de minces pilotis), un bandeau de fenêtre fait le tour de la maison, à la hauteur des épaules. Ainsi dans la chambre principale, le regard traverse les fenêtres, passant de l’intérieur (la chambre) à l’extérieur (la pièce sans mur) à l’intérieur (le salon) à l’extérieur (la vue sur le lac). « Au bout du compte, dehors et dedans, c’est pareil. C’est ça, l’idée. »
Ce bandeau de fenêtre aurait même pu être plus bas. Mais alors, tout le corps aurait été exposé à l’extérieur. Comme la fenêtre commence aux épaules, le regard est porté vers l’extérieur, et la vue est sans entrave, mais l’intimité est tout de même préservée.
« La maison te protège, aussi », poursuit Pierre-Charles. Il donne l’exemple du plafond, fait de lattes de cèdre. Il se prolonge à l’extérieur. Donc quand on regarde par la fenêtre, couché sur le lit, ce prolongement crée une sorte de protection. Bref, la nature est toujours présente, sans jamais être envahissante.