Aller aux courses, dans l’oeil de Gino Ramacieri
Chez Gino Ramacieri, à Piedmont, il y a un petit coin dédié à la Formule 1, avec des affiches, des modèles réduits et des plaques d’immatriculation. Au-dessus de sa collection, il y a une photo des pilotes rassemblés lors du Grand Prix du Canada, à Mont-Tremblant en 1968, le premier tenu au Québec. C’est une photo qu’il a prise lui-même, lorsqu’il avait 16 ans et qu’il était photographe pour un magazine de Los Angeles.
« Cette photo-là, elle est incroyable. Il y a Bruce McLaren, en avant, le deuxième à gauche. Non seulement ce sont ses autos qui ont gagné, mais il a aussi participé au design du circuit », raconte M. Ramacieri. La réputation de McLaren pour fabriquer des voitures gagnantes ne s’est jamais démentie depuis, souligne-t-il. « Aujourd’hui, c’est la voiture dominante en Formule 1. L’année passée, elle a gagné le championnat du monde. Et cette année, elle va le gagner facilement. »

Passionné par les courses
Comment Gino s’est-il retrouvé photographe professionnel si jeune ? « J’étais allé à Los Angeles avec mon cousin, en vacances durant l’été. J’étais allé voir une revue qui s’appelait Sports Car Graphic et j’avais proposé mes services à l’éditeur. Je venais du Québec et j’étais photographe, donc s’il voulait m’engager pour aller aux courses… J’étais un peu audacieux. J’avais 16 ans : imagine ! »
En septembre, Gino se rend donc à Mont-Tremblant avec sa passe de presse pour couvrir le Grand Prix. « C’est capotant ! Je faisais ça beaucoup plus par intérêt des courses, pour avoir une place de choix. » Sa passion pour les courses commence en 1964, lorsque son père amène un jeune Gino de 12 ans voir les premières courses automobiles sur le circuit Mont-Tremblant. « C’était l’émerveillement. Et c’est tellement beau, Tremblant ! C’est romantique, dans les montagnes. Je suis devenu un amateur de courses. Si mon père ne m’avait jamais amené, je n’aurais peut-être pas connu ça. Lui aussi aimait ça : il est Italien. »
En 1967, il était aussi allé à Mosport, en Ontario, pour assister au premier Grand Prix du Canada. « Je n’étais pas photographe, mais on avait eu des passes, parce qu’on connaissait le producteur du Grand Prix à Radio-Canada. Dans ce temps-là, c’était moins régulé et il y avait moins de monde. »
Dans l’escalier qui mène à sa collection de souvenirs, M. Ramacieri me montre d’ailleurs une sculpture en bois d’une voiture de course, qu’il a faite alors qu’il avait 13 ans. « J’étais déjà passionné. »
Devenir photographe
Après son secondaire, Gino fait des arts appliqués. « J’ai toujours aimé la photo. J’avais ma chambre noire et tout. Je dois avoir 100 000 photos dans ma cave. Ça va être mon passe-temps, ça : trier mes photos. [Rires] J’étais autodidacte. Je n’étais pas un photographe technique, avec des filtres, des ci et des ça. Je suis un bon cadreur, j’ai une bonne vision, et je l’ai appris sur le tas. »
Avec ses accréditations, Gino assiste au Grand Prix de Mosport en 1969, puis de nouveau à celui de Mont-Tremblant en 1970. « J’arrivais des courses le dimanche soir, avec mon ami Steve Lawn. Lui écrivait les textes. Moi, je développais les films. On choisissait quatre ou cinq photos en noir et blanc. Puis on postait ça pour Los Angeles. J’ai les revues, dans mes boîtes. Tu vois les photos, et c’est écrit : Gino Ramacieri. C’est trippant quand tu es jeune ! »
Surtout, sa passe de presse lui donne une grande liberté sur les circuits. « Tu as accès à tout ! Tu marches à travers les autos, les pilotes sont là. » À l’époque aussi, la Formule 1 est moins achalandée et moins formatée. « La photo des pilotes : tu ne vois plus ça aujourd’hui, une réunion de pilotes sous la tour de contrôle. Maintenant, ils sont dans des pièces. Les garages : c’était des petits enclos en blocs de béton avec une planche de bois. C’était rudimentaire, et les autos aussi. »
Pour Sports Car Graphic, Gino couvre aussi toutes les pistes du Nord-Est de l’Amérique. « J’allais à Watkins Glen et Bridgehampton dans l’État de New York, Bryar Park [New Hampshire], Lime Rock [Connecticut]… Il y avait différentes sortes de courses, pas juste de la Formule 1. »
Un morceau d’histoire

Dans un coin, il y a un panneau avec plusieurs photos du pilote Jacky Ickx et de sa Ferrari en pleine course. Un écusson de Ferrari jaune et légèrement égratigné attire l’attention au milieu des photos en noir et blanc.
« Il y a une histoire derrière ça. Au Grand Prix de 1968, Ickx s’est brisé la jambe dans les pratiques, donc il n’a pas coursé. En 1970, il est revenu. Et le vendredi, durant les pratiques, il a eu un autre accident. Je suis allé sur le site, et ça, c’est vraiment l’écusson qui était sur sa voiture. Je l’ai gardé », raconte M. Ramacieri.
Cette fois, Ickx s’en sort indemne… et gagne même le Grand Prix ! Sur la photo au-dessus de l’écusson, on le voit d’ailleurs les mains jointes, comme pour une prière, tout de suite après sa victoire.
Les vieux appareils
Photographier des voitures qui filent à toute allure devait représenter un défi, avec les appareils de l’époque. Comment Gino s’y prenait-il ? « Tu es sur le bord de la piste, et les autos vont à 200 km/h. Quand les voitures arrivent dans l’épingle (le virage en U), tu te mets à la sortie, donc tu peux capter quand elles sont plus au ralenti. Comme ça, tu peux avoir une photo de front super claire. Tandis que, quand elles sont en vitesse, tu suis l’auto et il faut que tu la pognes à un millième de seconde. Derrière, c’est flou, et la voiture est claire. Tu peux les prendre en rafale. Certaines sortaient pas bonnes. »
À l’époque, les films ne permettent de prendre que 36 poses, rappelle M. Ramacieri. « Tu passais peut-être 10 films dans ta journée, et il fallait que tu le mettes dans l’appareil. » Dans son sous-sol, il a encore ses vieilles caméras, dont certaines datent des années 1960. « C’est passé dans L’Actualité. Comme les vinyles, il y a un retour des vieux appareils photo. Les jeunes trippent sur les caméras avec la pellicule et la chambre noire. C’est plus romantique, plus recherché. Il y a une texture unique. »
Une passion qui dure
La contribution de Gino Ramacieri pour Sports Car Graphic n’a duré que trois ans, mais sa passion pour les courses, elle, dure toujours. Il pointe une photo de lui avec Gilles Villeneuve. « C’est quand il a gagné, en 1978. »
Depuis ses débuts, la Formule 1 a bien changé. « Aujourd’hui, ç’a explosé, avec Netflix et tout. C’est rendu comme le Super Bowl. Il y a beaucoup de mes amis, des vieux de la vieille, qui ne considèrent plus que la Formule 1 est un sport noble comme dans le temps. C’étaient des gladiateurs ! Aujourd’hui, les voitures sont des robots : c’est incroyable. »
Malgré ces changements, M. Ramacieri continue d’aller aux courses. « Je suis allé au Grand Prix de Monaco l’année passée. Et là, je veux aller à celui du Japon l’année prochaine. »