(Photo : New York Times)
Cette peinture générée par l'intelligence artificielle a remporté un prix au Colorado.

Chronique: Séparer l’humain de la machine

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Une entrevue entre Joe Rogan et Steve Jobs, mais réalisée 11 ans après sa mort. Une œuvre d’art qui remporte un prix d’art, mais que personne n’a peinte. Un robot clavardeur (chatbot) tellement sophistiqué qu’il convainc son créateur qu’il est devenu conscient. Et une pub de lait où un enfant a le visage de Laurent Duvernay-Tardif.

Les intelligences artificielles (IA) peuvent maintenant faire des choses prodigieuses. Mais de plus en plus, il devient difficile, voire impossible, de les distinguer des êtres humains. Ce qui m’a rendu perplexe, récemment, c’est la défaite inattendue du champion du monde d’échecs.

Tricher

Septembre 2022, à la Coupe Sinquefield aux États-Unis. Magnus Carlsen, champion d’échecs depuis 2013, affronte Hans Niemann, un jeune américain et joueur junior. Après quelques coups, la position fait sourciller Carlsen : une victoire en soi. Et après 57 coups, Niemann l’emporte, contre toutes attentes. Le plus surprenant : Carlsen jouait les Blancs, donc en premier. Autrement dit, il n’a pas simplement perdu : il s’est fait blanchir. Le lendemain, Carlsen se retire du tournoi.

Que s’est-il passé? Niemann a-t-il eu un coup de chance? Est-il un nouveau prodige? Ou Carlsen, un mauvais perdant?

Plusieurs, dont Carlsen, croient plutôt que Niemann a triché. Un appareil caché sur son corps (ou dans un orifice!) lui aurait envoyé des signaux, permettant à l’IA de guider ses coups.

Depuis que l’ordinateur Deep Blue a battu le champion d’échecs Garry Kasparov, en 1997, on sait que la machine joue mieux que l’humain. Aujourd’hui, les grands maîtres se servent même des IA pour s’entraîner, voir le jeu différemment, concevoir de nouvelles stratégies et mémoriser davantage de positions.

Alors comment prouver que, dans ce match, c’est la machine qui jouait, et non Niemann? Surtout si les joueurs développent, avant les matches, leurs stratégies avec l’assistance de l’IA?

En fait, c’est probablement impossible.

Plagier

Depuis quelques semaines, je m’amuse avec DALL-E mini. Ouverte au public, cette petite IA génère des images et des œuvres d’art inédites à partir de seulement quelques mots. L’IA peut imiter le style des grands peintres, l’effet d’un polaroid instantané ou d’un dessin à la main.

Les résultats sont amusants, mais peu raffinés. Son grand-frère DALL-E, par contre, crée des images saisissantes, impossibles à distinguer du travail d’un créateur humain. Il y a quelques semaines à peine, Facebook et Google ont aussi révélé des IA qui peuvent créer des gifs : de courtes vidéos animées.

Avec le deepfake, une autre technologie, on peut remplacer un visage dans une vidéo ou animer une photo. On peut faire parler la Mona Lisa, remplacer tous les personnages de Friends par Nicolas Cage, ou recréer Laurent Duvernay-Tardif en enfant pour une pub. Mais on peut aussi créer un faux discours de Trump, d’Obama ou de Trudeau.

Bref, on peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui.

Imiter

Tout outil peut devenir une arme. C’est autant vrai pour un couteau que pour l’énergie atomique, ou même pour l’imprimerie. Et pour moi, l’apprentissage profond (ou deep learning) est l’outil le plus fascinant… et terrifiant. C’est peut-être le dernier que les humains auront besoin de créer.

Avec assez de données, une intelligence artificielle peut apprendre d’elle-même. Elle trouve des associations et des modèles dans les données, et elle crée ses propres algorithmes.

Avec vos données, une IA peut même créer votre double virtuel. Avec vos photos, vos vidéos et vos écrits, elle peut répliquer votre voix, vos expressions faciales et votre manière d’écrire. On peut même le faire avec des personnes décédées, comme Steve Jobs. Plus troublant encore, vous pourriez le faire avec un proche, et discuter avec lui.

Avec des conversations, des textes et des ouvrages littéraires, Google tente de développer le chatbot parfait : un programme avec lequel clavarder, discuter, échanger. Cet IA comprend si bien le langage et son fonctionnement que cet été un employé, Blake Lemoine, a été suspendu. En discutant de philosophie, de littérature et d’émotions, Lemoine est devenu convaincu que l’IA était consciente.

Peut-on créer une intelligence artificielle qui serait consciente? L’histoire de Lemoine pose la question différemment. Si on ne peut plus distinguer l’humain de la machine, y a-t-il vraiment une différence?

Surtout, que nous restera-t-il à faire, lorsque les machines travailleront, créeront et discuteront à notre place? Que serons-nous, lorsque les machines seront nous, mais mieux?

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