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Le choc des photos

Par Éric-Olivier Dallard

C’est arrivé comme ça, je vous dis. Une histoire de deux photos. Des clichés.

Photo couleur. Saturée. Plein cadre.
– Un jour tu es au cœur d’une ville irrévérencieuse, frondeuse, et qui a su faire quelque chose de grand de cela, quelque chose de grand grâce à cela très exactement; une ville qui a donné au XXe siècle plus de mouvements littéraires, musicaux, sociologiques, philosophiques, cinématographiques que la plupart des autres villes rassemblées.

Tu es, en fait, plus qu’au cœur d’une ville irrévérencieuse et frondeuse, tu es un peu au coeur du monde, tu es un peu plus au monde.

Une légende, là, au bas: NYC.

Photo d’un sépia mal tiré sur un papier mat mal choisi. Photo légèrement surexposée. Avec un flou dans les angles. Qui n’est pas un flou artistique.
– Un jour, un autre, toujours au coeur de la même ville. La même? Vraiment? C’est un détail, mais…

C’est un frémissement. Infime.

Et c’est une chute assourdissante.

Là, au bas, on a du mal à lire. Non, rien.

Si: une «légende» qui s’estompe.
•••

C’est lors d’un automne newyorkais où j’ai constaté qu’il était interdit du fumer dans les bars et restaurants que j’ai senti la chute; si cette ville-là avait «abdiqué», le courant serait un torrent, demain un fleuve, un océan: les fumeurs disparaîtront un jour, emportés sous la vague «bien pensante et bien portante».

Comment dire?… On ne peut être contre la vertu. Pourtant. J’ai l’impression que New York a vendu un peu de son âme ce jour-là, un peu de cette âme affranchie qui l’avait faite. Et puisqu’une âme ne se vend pas à demi…

Un frémissement infime. Oui. Un tremblement de terre. Il y a une telle hypocrisie dans tout ce cirque, ces lobbies pro-santé. Et nos gouvernements qui suivent d’un pied ferme, alors que juste à côté: la multiplication des réseaux sans fil, la transgénie des aliments, les moteurs… Une telle hypocrisie. Sans nom. J’aimerais bien parfois que l’on cesse de s’en prendre aux coûts de santé que représentent les fumeurs. Ou alors que l’on vise dans le même lynchage, avec les mêmes pierres aiguisées, quelques autres catégories de «déviants» comme, par exemple, les gros. Et ne me dites pas qu’ils n’ont rien à voir avec leur état. Non madame, c’est pas «les glandes», le problème. C’est que vous reprenez trois fois du dessert. Mais ça, «ça ne se dit pas», hein? «C’est pas beau». Les fumeurs, y coûtent cher. Pis les gros, c’est les glandes!!! Ben oui… L’hypocrisie des mouvements santé et de nos bons gouvernements est taillée dans la même étoffe que celle du «politiquement correct» (quelle horrible locution soit dit en passant, qui reflète très justement l’horreur même du concept).

En fait, l’étoffe du politiquement correct est plus grossière encore. Parler «des gros», sans les nommer, en disant simplement «des personnes avec un surplus de poids» ou «des personnes obèses» avec déférence, avec un air affecté, en public, «devant les invités», c’est d’une telle insolence, bordel! Ça achète une bonne conscience à un prix infime. C’est une parodie, triste pantomime du Respect. Exactement comme pour les lois anti-tabac de nos bons gouvernements qui abreuvent de subventions les usines pharmaceuthiques qui nous saloperont la vie (et même la mort!) demain. Tu dis d’elle «affiche un surplus de poids… et qu’elle a – vraiment! – une belle personnalité» devant les invités; puis tu penses – comme tous les invités! – que «si elle bouffait un peu moins aussi»…

Tu parles des «communautés visibles». T’es «quelqu’un de bien». Mais tu rêves du jour où Le Pen prendra le pouvoir et «mettra de l’ordre». Et tu te crois même de plus en plus légitimé de penser qu’elle «bouffe comme une cochonne» et que l’étranger «devrait foutre le camp». Puisque tu les nommes avec respect. Oui, t’es vraiment quelqu’un de bien. J’vais te dire: t’es mille fois pire.
•••

L’histoire de la Sainte-Santé et le règne du «Politiquement Correct»? C’est arrivé comme ça.

Il reste deux photos. Clichés. Un coup en pleine figure, comme un accord mineur sur un blues de Lou Reed, balancé par un Marshall 1959. Dans les volutes des Gitanes brunes.

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