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CINEMA – Monte Christo serait ravi

Par stephane-desjardins


La tourneuse de page

Certains moments, même insignifiants, peuvent affecter sournoisement toute une existence. Surtout si une situation pénible survient dans l’enfance. Parfois, ces blessures jamais soignées font basculer une personne vers cette zone de ténèbres qui, croient beaucoup d’artistes et de psychologues, se cache en chacun de nous.

Prenez le cas de Mélanie. La jeune enfant prépare avec intensité son concours d’entrée au Conservatoire. Elle est déjà une personne entière, de peu de mots. Une personne d’action, peu expressive, toute en retenue mais déterminée. Elle s’investit totalement dans ce concours et sait pertinemment que son destin est lié à cette épreuve.

Mais c’est le drame. La présidente du jury, Mme Fouchécourt (quel nom prédestiné!), une concertiste célèbre interprétée par Catherine Frot, accepte de signer un autographe en pleine audition! La jeune pianiste en est complètement déconcentrée. Déconcertée, elle peine à terminer l’interprétation d’une œuvre compliquée. Elle sait que le jury rejettera sa candidature. Elle est démolie, révoltée. Tout comme nous!

Le réalisateur, Denis Dercourt, qui est aussi musicien, a déjà confié qu’il avait vu des situations semblables dans le milieu de la musique. Ce n’est pas tous les artistes qui font preuve d’insensibilité. Mais certains sont des monstres à ce chapitre.

Plusieurs années passent et notre Mélanie (Deborah François), désormais une jeune femme, obtient un stage chez un cabinet d’avocat dirigé par un fils d’une grande famille bourgeoise française. Elle apprend que le patron cherche une nounou pour quelques semaines. Sa femme doit se concentrer pour un concert stratégique. C’est… Mme Fouchécourt!

La jeune stagiaire obtient le poste et se fera progressivement accepter par la maisonnée jusqu’à devenir tourneuse pour la concertiste. Un poste stratégique, car il faut une certaine symbiose entre la pianiste et celle qui tournera les pages de sa partition lors d’un concert.

Dès lors, une effroyable vengeance se mettra en place. Mais, dès le départ, on est pris par ce film angoissant et implacable. De chaque scène se dégage un inconfort. Les gestes des personnages, la musique, les regards, les mots qui ne sont pas prononcés.

Dercourt est un cinéaste manifestement méticuleux, dont l’œuvre fait beaucoup penser à Chabrol. Son portrait d’une famille bourgeoise est juste et n’est pas moralisateur. Les relations entre les personnages, surtout celles entre les deux femmes, deviendront de plus en plus complexes. Le spectateur se doute bien du drame qui s’en vient, mais il est accroché à son siège devant cette suite de situations sans issue. Ce film m’a fait penser à une araignée qui s’approche lentement de sa proie, tissant une toile mortelle, alors que ce papillon se débat avec ses propres angoisses, ne sachant même pas s’il est pris au piège.

Les comédiennes François et Frot livrent une performance éblouissante. L’une est froide et subtile. L’autre est angoissée et tendue à l’extrême. Quel décile que ce film dont la bande sonore, merveilleuse, constitue également un personnage dont on apprécie tous les tons, tragiques et enjoués.

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