Camilla Läckberg, et Le dompteur de lions

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Camilla

Chronique littéraire

Daniel Giguère

Avec ce neuvième roman de la série Fjällbacka, petit village suédois d’à peine 900 âmes, et dont il faudra craindre un jour la disparition tant l’auteure s’amuse à tuer ses habitants les uns après les autres dans ses romans, Camilla Läckberg signe sans aucun doute le polar de la saison estivale.

Les irréductibles y retrouveront leurs personnages favoris, ici l’enquêteur Patrick Hedström et sa femme Erica Falck, pour une histoire dont le prétexte, cette fois, démarre par la réapparition soudaine d’une jeune fille portée disparue depuis des mois, et qu’on retrouve un froid matin de janvier sur une petite route isolée, errant après avoir été torturée de la pire des façons (je vous épargne les détails). Et comme le malheur n’arrive jamais seul, elle sera happée quelques instants plus tard par une voiture qui l’aperçoit qu’au tout dernier moment. Elle mourra le lendemain sans avoir repris connaissance.
La table est mise dès la première page et le style, sans aucun doute, conviendra aux amoureux du genre. Les histoires s’entremêlent habilement, où il sera question d’un centre équestre et de ses propriétaires, Jonas et Martha, mais également du père de Jonas, handicapé et particulièrement détestable, confiné à sa chambre depuis des années, et qu’on jetterait volontiers du haut d’un escalier sans trop de remords. D’autres personnages s’ajouteront au tableau, incluant l’énigmatique Lasse et ses délires religieux.
En parallèle se développe l’enquête d’Erica Falck, elle-même écrivaine, qui s’intéresse, pour les besoins de son prochain roman, à une triste histoire vieille de plus de trente ans. Celle d’une femme emprisonnée pour le meurtre de son mari (le fameux dompteur de lions), mais dont le profil psychologique et les agissements en prison laissent deviner des histoires terrifiantes qu’elle refuse justement de dévoiler tant l’innommable est impossible à décrire, et surtout à comprendre.
Les forces du mal sont en action ici, et les ramifications, sans trop s’étendre sur l’intrigue, offrent une chute qu’on ne voit pas venir, et c’est tout à l’honneur de l’auteure. Toute la mécanique du livre consiste à superposer des histoires parallèles avec de fréquents aller-retour dans le temps, de telle sorte qu’on progresse lentement vers la fin en dénouant progressivement chacune des histoires, parfois sordides et parfois heureuses. Quand un roman réussit à faire tout cela, c’est déjà pas mal.
Ici et là sur la grande toile, on dit que c’est son roman le plus abouti. Ne pouvant juger parce que je n’ai pas lu les précédents, j’aurais tout de même tendance à croire effectivement que Läckberg offre ici un bon produit à ses lecteurs particulièrement nombreux, et sans doute très fidèles. Celui-ci me donnera-t-il envie de lire les autres? Honnêtement, non. La psychologie des personnages n’est pas unidimensionnelle, simplement convenue avec une forte impression de déjà-vu.
Et puis, au risque de soulever quelques tollés, la littérature féminine, ici parfaitement assumée par Camilla Läckberg où transpire son obsession pour la maternité (elle le répète à chaque entrevue), est un sujet qui, chez moi, n’inspire qu’un intérêt tout relatif.
Un mot, en terminant, sur l’excellente maison d’édition Actes Sud, qui publie les romans de Camilla Läckberg dans la collection Actes Noirs. Fondée par Hubert Nyssen en 1978, en dehors de l’étouffant écosystème parisien, la maison d’édition a su concilier diversité et rigueur dans le choix de ses auteurs. Une palette parmi laquelle on retrouve Nancy Houston et l’extraordinaire Instruments des ténèbres. Russell Banks, très grand romancier américain qui nous a donné Lointain souvenir de la peau, et sans oublier le fabuleux Cormac McCarthy, dont les romans sont souvent adaptés au cinéma (La route, et Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme), et qui a aussi écrit Un enfant de Dieu, roman publié en 1974. Je vous en recommande d’ailleurs chaudement la lecture si vous aimez les vrais romans noirs avec un vrai tueur en série. Un récit incarné dans toute son américanité. Une histoire puissante et déchirante que je considère, pour ma part, bien plus effroyable que les polars à la mode.
Il faut aussi mentionner que Actes Sud a récemment publié une nouvelle édition de Crime et châtiment de Dostoïevski dans la traduction désormais incontournable d’André Markowicz. Un pur ascète de la littérature, amoureux fou des écrivains et poètes russes. C’est un excellent prétexte pour relire ce livre, et tous les autres du grand Dostoïevski, dans une traduction qui se veut la moins éloignée possible de ces chefs-d’œuvre intemporels.

1 commentaire

  1. À vous lire, Monsieur Giguère, je prends la mesure de mon inculture littéraire. J’en rougis un peu. Pour remédier à mon malaise, je compte bien me procurer Un enfant de Dieu de Cormac McCarthy sous peu et Instruments des ténèbres de Nancy Houston. Je vous laisse donc sur un grand merci.

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