Chronique littéraire

Par Thomas Gallenne

Philippe Claudel, L’arbre du pays Toraja

Daniel Giguère – Le rituel est souvent le même avec les écrivains qu’on aime. Sitôt la parution d’un nouveau roman, on se rend chez notre libraire, on parcourt rapidement la quatrième de couverture, puis on repart avec le petit colis sous le bras. Mais l’inquiétude peut nous rattraper dès les premières pages, nourrie ici par le souvenir du précédent roman. Et très vite, la terrible question revient nous hanter. Y aurait-il une date de péremption, même chez les écrivains?

L’arbre du pays Toraja, le nouveau roman de Philippe Claudel, attire son lot de lecteurs, qui lui font généralement bonne presse. Précisons que le résumé avait tout pour plaire. « Un cinéaste au mitan de la vie perd son meilleur ami et réfléchit sur la part que la mort occupe dans notre existence. » Projet ambitieux – certains en font la base d’une œuvre complète – alors on se dit pourquoi pas? Mais Claudel, visiblement en panne d’inspiration, se contentera d’aligner des mots, parce qu’il faut bien écrire, parce qu’il faut bien payer l’épicerie. La littérature de l’estomac, en somme.
Et puis, on se dit qu’il applique, lui aussi, mais avec moins de succès, cette fameuse règle devant la terrible page blanche. « Écrivez! Écrivez! Vous finirez bien par dire quelque chose. »
Au bout d’une dizaine de pages, on se surprend déjà à sauter un paragraphe, puis un autre, sans avoir l’impression de perdre quoi que ce soit. Le roman s’étire sur quelque deux cents pages, comme un soliloque auquel sont conviés les inconditionnels, qui pardonneront cette prose un peu paresseuse.
Pour preuve, cet exemple parmi d’autres. L’idée que le bouquin puisse servir de combustible nous traverse furtivement l’esprit.« J’ai pris une douche et je me suis assis face à la télévision. Je ne l’avais pas allumée depuis des mois, peut-être des années. Je ne me souvenais pas de la dernière fois que je l’avais regardée. J’ai pris la télécommande et j’ai appuyé sur le bouton marche. »
On comprendrait cette lourdeur dans un premier roman. L’envie d’insister sur les évidences, pour s’assurer que le lecteur a compris. Mais un éditeur sérieux faisant correctement son travail aurait gentiment remis le manuscrit à son auteur, fut-il Philippe Claudel, en lui disant de retravailler, d’élaguer, d’aller à l’essentiel. Enfin bref, d’écrire comme l’écrivain qu’il a déjà été.
Seulement voilà, la singularité de l’édition en France, et peut-être ici aussi quand on y pense, consiste à juger un manuscrit à partir des livres précédents. La qualité des premiers justifiera la publication du dernier, même s’il est mauvais.
C’est Julien Gracq qui disait qu’en France, on ne consent à lire un auteur qu’une seule fois : la première; la seconde, il est déjà consacré. Il ajoutait que la réputation d’un écrivain se conserve presque indéfiniment par la force acquise. Seule exception notable, Jérôme Lindon et les Éditions de Minuit, qui refusa de publier le deuxième roman d’Echenoz, parce que jugé trop mauvais. Mais c’était un éditeur d’exception, comme on n’en fait plus.
Pour revenir à Claudel, je crois avoir lu Les âmes grises sept ou huit fois, et toujours avec la même émotion. Une voix, un souffle, une économie de mots. Le fond et la forme en parfaite symbiose. Le Rapport de Brodeck était presque aussi bon. On lui a d’ailleurs consacré une bande dessinée dont on dit le plus grand bien. Mais depuis ce temps, la source s’est manifestement tarie. L’écrivain besogne désormais ses bouquins sur l’air du temps. Une petite sonate en quelque chose de mineur, comme une musique d’ascenseur. Jolie, mais pas fait pour être retenue.
Alors, on repense à cette citation trouvée sur la grande toile, et qu’on attribue à une poétesse russe dont j’ai oublié le nom, mais qui disait à peu près ceci: « N’écrire que les livres dont l’absence fait souffrir ».
Chez certains écrivains, on se dit que si leur manuscrit les faisait souffrir à ce point, c’est à un ami qu’il fallait se confier, et non à un éditeur. Mais quand l’éditeur est aussi votre ami…
 

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Mots-clés

...