Cinéma québécois 1 : 54 = 1 h 75 de réflexion sociale!
Par Martine Laval
Le premier long-métrage de Yan England, 1 : 54, prendra l’affiche le 13 octobre dans plusieurs salles du Québec, dont celles du Cinéma Carrefour du Nord et du Cinéma Pine dans les Laurentides. Cinéma d’auteur, cinéma de profondeur, cinéma de réflexion, on sort de la projection avec le ressentiment de ne pas en faire suffisamment pour contrer l’intimidation et l’homophobie. Ados, parents, enseignants, intervenants… un film qui en dit long, un film à voir.
Synopsis
Tim, 16 ans, timide, brillant, doté d’un talent sportif naturel, subit depuis cinq ans de l’intimidation et d’incessantes menaces à l’école. Seul contre la bande à Jeff, il trouve néanmoins appui et réconfort auprès de Jen, une camarade de classe. Pour damer le pion à son rival une fois pour toutes, Tim s’inscrit dans le même club sportif scolaire que Jeff, avec pour objectif de le détrôner de son titre de champion en gagnant le 800 m de la compétition nationale dans un temps de 1 : 54. Mais Jeff a un atout dans sa manche pour contrer le plan de Tim…
Comme dans la réalité
Le scénariste et réalisateur Yan England (bien connu également comme acteur et animateur) a choisi le milieu scolaire réel et non fictif pour tourner son film. Les scènes qui se déroulent à la cafétéria, dans les couloirs et les salles de classe de la polyvalente sont des lieux actuels, et les élèves qui fréquentent l’établissement dans la vraie vie se sont transformés en figurants au moment du tournage. « Je voulais une ambiance réelle, un vrai contexte joué à leur niveau », exprime Yan England en entrevue téléphonique.
La tête dans le sable
Le scénario, refusé partout prétendument parce que « l’intimidation ne se passe plus vraiment dans les écoles et qu’on est passé à autre chose (!?) », raconte Yan England, a toutefois été retenu par les productrices Denise Robert et Diane England (mère du scénariste) qui, au contraire, prétendent que l’intimidation est bel et bien réelle et encore plus sournoise, dû aux outils utilisés pour la manifester. Les médias sociaux font des ravages dont on ne mesure pas la portée. Il est inutile de se mettre la tête dans le sable! L’intimidation est la réalité de bien des jeunes, encore plus insidieuse puisque qu’elle pénètre l’intimité du souffre-douleur à tout instant via les écrans.
Lorsque Tim explose alors qu’on exige de lui qu’il dénonce ses intimidateurs, on ressent son profond désarroi face à la force que détient l’intimidateur et sa menace de révéler son secret : « Tout le monde va le savoir! ». On comprend d’autant plus l’ampleur de sa détresse à stopper le manège en ces mots : « Ou tu te la fermes et tu dis absolument rien, ou tu règles ça par toi-même ».
Du talent brut
La force et la portée de ce drame social sont traduites magistralement par Antoine-Olivier Pilon qui déploie son immense talent brut. Il saura en rajouter de façon notoire lui qui, dans la vie, a connu les deux côtés de la médaille, tout à tour intimidé et intimidateur. Le Valois du meilleur acteur qu’il a remporté lors de la présentation du film au Festival du film francophone d’Angoulême en France cet été est amplement mérité.
Quant à Lou-Pascal Tremblay, à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession avec sa belle gueule, il incarne très bien l’intimidateur hypocrite prétextant jouer le fanfaron pour impressionner la galerie. Mais il se fait persécuteur convaincant et menaçant lorsqu’il s’agit de maintenir la face et sa place au sein de son équipe sportive.
Pour ce qui est de Sophie Nélisse, qui complète le trio, son talent ne se dément pas d’un film à l’autre, jouant de toute son authenticité.
1 : 54, c’est 1 h 75 min de projection sans un seul moment d’ennui. Les plans fixes qui s’étirent, les silences criant de non-dits sont des moments intérieurs d’incompréhension et de douleur profonde. L’émotion vibre, le trouble se déclenche, le malaise est vivant. Moment d’introspection dans la salle.
Une œuvre utile
Le long-métrage est une œuvre utile qui devrait tenir lieu d’outil de sensibilisation dans les écoles et la société, alors que la deuxième cause de suicide chez les jeunes ne diminue pas, sans oublier l’homophobie qui persécute et tue, encore et toujours.
Le film démontre à quel point les jeunes ne mesurent pas l’ampleur de leurs mots et de leurs actions et les conséquences que ça peut avoir. « C’était des blagues. Je ne voulais pas faire de mal. Je ne croyais pas que… » sont les justifications des bourreaux face à leurs actes irréfléchis, une fois que le mal est fait, et que la résultante est irréversible.
Ne reste plus qu’à espérer que le propos du film résonne au cœur de ceux et celles qui font porter une telle croix à leurs pairs.