La rue sans nom

Par Rédaction

Le lecteur aura sans aucun doute été témoin ces dernières années d’un affaiblissement de la qualité des politiciens, des discours évanescents, des enjeux aseptisés, de la corruption et de l’omniprésence de mots récurrents tels: commission d’enquête, ou non commission d’enquête… transparence, éthique, langue de bois, démocratie, communications, censure, retraites dissimulant des démissions pour raisons obscures, dossier transmis à la police etc.

Il y a un marécage, tant aux niveaux provincial, municipal que fédéral, où le grenouillage jumelé au copinage, est devenu affaire si courante

que la population semble avoir quelque peu adopter une attitude résignée ou carrément

indifférente. Confiants que le temps et les

institutions, car les gens croient toujours en leurs institutions, feront le travail de nettoyage de cette pollution intellectuelle.

Mais à ce présent où Montréal est la Palerme de l’Amérique du Nord, le Québec en construction… et le Canada dirigé par l’Alberta, je vous propose un retour dans le passé où un homme pourrait servir d’exemple à ceux du présent et nous aider à comprendre que le pouvoir, s’il est une responsabilité, est aussi une arme de destruction massive…

En 1899, naît Camilien Houde, dans une rue sans nom du quartier de Saint-Henri.

Il réussira des études dites commerciales, qui lui permettront de devenir commis de banque et

accéder quelques années plus tard au poste de

directeur d’une succursale, celle de la banque d’Hochelaga.

Populaire et aimant les gens, il est sollicité pour devenir candidat député et est élu député provincial de la circonscription de Sainte-Marie, un quartier ouvrier de Montréal.

Lors de son second mandat il ne sera pas réélu, mais en 1928 il s’intéresse à la politique municipale et devient le maire de Montréal, il le sera pendant 18 ans, s’occupant notamment avec succès des questions ouvrières et sociales. Il fut aussi chef du parti conservateur du Québec et député de la Chambre des communes du Canada.

Mais voilà qu’à l’été 1940, le gouvernement fédéral de Mackenzie King, décida d’imposer l’enregistrement obligatoire de tous les Canadiens valides, mesure hypocrite pour préparer une conscription pour la guerre en cours, alors que son gouvernement avait été récemment élu sous la promesse qu’il n’y aurait jamais de conscription, sous quelque forme que ce soit.

Camilien Houde écartant la censure dit aux journalistes le 2 août 1940: «Je me déclare péremptoirement opposé à l’enregistrement national qui est sans équivoque une mesure de conscription, le Parlement n’ayant pas le mandat pour voter la conscription et je ne me crois pas tenu de me conformer à la dite loi et je n’ai pas l’intention de m’y conformer et je demande à la population de ne pas s’y conformer, sachant ce que je fais, et à quoi je m’expose. Si le gouvernement veut un mandat pour la conscription, qu’il revienne devant le peuple et sans le tromper cette fois.»

Le maire de Montréal est arrêté le lundi 5 août 1940 à sa sortie de l’Hôtel-de-Ville par la Gendarmerie royale du Canada et conduit de nuit dans un camp de concentration à Petawawa, Ontario.

Interné sans procès, sa liberté d’expression brimée, on tentera de le briser psychologiquement.

Cet homme qui n’avait que demandé aux politiciens d’Ottawa de respecter leur mandat et leur parole, «de ne pas tromper la population», se verra priver de voir sa famille ou un avocat et personne ne saura où il se trouve.

Ce n’est qu’à la fin de l’année 1941,après 16 mois de détention, qu’il sera transféré dans un autre camp de concentration cette fois à Fredericton, Nouveau-Brunswick où occasionnellement on permettra à sa femme de le visiter, mais pour 30 minutes seulement. Pour l’humilier on lui demande de parler anglais avec son épouse, langue qu’elle connaît très peu.

Des voix commencent à se faire entendre pour réclamer sa libération, dont celle du futur maire Jean Drapeau. Le gouvernement répliquera qu’il ne le libérera que s’il se rétracte. Ce que Camilien Houde refuse de faire alors qu’on lui présente un document écrit en anglais. Il ne sera libéré que le 14 août 1944. Amaigri, il arrive au soir du 16 août 1944 à la gare Windsor à Montréal, une foule de plus de dix mille personnes remplies d’émotion est venu l’accueillir.

Camilien Houde entre dans la légende. Il sera réélu maire sans interruption jusqu’à sa retraite de la politique. L’homme du peuple né sur une rue sans nom, a maintenant un boulevard à son nom qui traverse le Mont-Royal.

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