Sœur Poète
Par Rédaction
Samedi soir dernier en plein repas de fête, le cell se met à vibrer. Sœur Poète en personne! Mon professeur de français de secondaire 3 et 4. Ça faisait un bail!
Qu’est-ce que je faisais de bon, me demande-telle. Rien ma sœur, je reçois une vingtaine de personnes mais à part ça, c’est bien tranquille… Elle éclate de rire, se confond en excuses pour le dérangement mais en même temps m’apprend qu’elle a de nouveaux amis dans le Nord, c’est ainsi qu’elle s’est rappelée de moi. T’habites toujours St-Sauveur, mon ange? qu’elle me demande. Bordel, ma sœur ça fait des années que je vous y invite! Elle fait comme si elle n’avait pas entendu mais ajoute : St-Sauveur, c’est le vestibule du ciel. C’est comme rien, elle a dû lire ma dernière chronique.
Une leader née
Je lui demande son âge. Double 7, qu’elle répond du tac au tac. Hé hé ma sœur, il ne vous reste pas beaucoup de temps pour relire les Aventures de Tintin.
Cascades de rire, comme le son d’une belle chute qui bouleverse un silence forestier. Je lui dois beaucoup à cette religieuse. C’est elle qui, la première a poussé sur mon crayon. Qui m’a dit que j’avais un certain talent en écriture, que je me devais de l’exploiter.
Elle aimait à me rappeler cette pensée de Paul Valéry : les dieux donnent aux poètes les premiers vers, le reste est affaire d’obstination et de travail.
J’avais 14 ou 15 ans. Le moment propice des poèmes et du journal intime. Pour écrire, j’écrivais. Je lui dois ma culture de certains auteurs dont Lamartine, elle en raffolait et l’apprentissage entre autres des alexandrins (poèmes à 12 pieds).
Un jour que je n’avais pas remis un devoir à temps, elle m’en commanda un. Pas un alexandrin, sœur Poète? Elle fit la sourde oreille et décréta que le sujet du poème serait : parler à un ruisseau d’une peine ressentie. Je me souviens encore du dernier quatrain.
Je n’ai rien vu venir ne fut-ce que la nuit/J’ai tant de peine d’avoir perdu mon amour/Tout est noir comme l’encre du papier jauni/Larmes de mon cœur qui nourriront ton cours.
Le maître et l’élève
Elle était tombée sur son…popotin, s’était roulée par terre de tant de jouissance intellectuelle. C’était pas joli joli de la voir ainsi avec sa cornette toute croche. Permettez que je récite une courte prière? Merci vous êtes bons pour moi. Seigneur faites que sœur Poète ne lise jamais cette chronique sinon je serai bonne pour l’enfer. Amen.
Vous aurez compris, intelligents comme vous l’êtes, que j’adore sœur Poète et que je lui en serai éternellement reconnaissante d’avoir détecté chez moi un certain talent en écriture dans mon abîme d’ado et de m’y avoir poussée. De m’avoir vendu les vertus de la persévérance et du travail bien accompli.
Devenue prof à mon tour, j’ai repris le travail de sœur Poète. J’ai fait découvrir à chacun de mes élèves ses propres forces.
C’est ainsi qu’une fois par mois, nous avions droit à une présentation. Avec Bastien, ce furent des bricolages de son crû. On goûta aux talents culinaires de Noémie alors que Joey nous donna des leçons de karaté. Quant à Rémi et ses pitreries en classe, il se découvrit des talents d’humoriste.
J’avais invité sœur Poète à venir à notre présentation de fin d’année.
C’était tellement wow de voir tous ces enfants heureux de leurs prouesses! Voyez ce que vous avez fait? Z’êtes contente ma sœur? Tout ça à cause de vous! Alors elle s’était mise à rire de bon cœur. Non, retenez-vous de vous rouler par terre, lui avais-je dit, ce n’est vraiment plus de votre âge!