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Y a-t-il justement un espoir?

Par stephane-desjardins

Contre toute espérance

Dans la vraie vie, je ne suis pas chroniqueur de cinéma mais rédacteur en chef d’un journal économique. Pour moi, la mondialisation, les produits financiers, les fusions-acquisitions et tous les phénomènes qui affectent les entreprises et le monde du travail, je connais. Dans son film, Bernard Émond imagine un couple frappé par de multiples revers du destin, dont une perte d’emploi liée à la mondialisation.

Il y a presque une décennie, quand la surenchère marquant la rémunération des patrons des sociétés publiques a frappé l’Amérique, alors en pleine vague de prospérité et en pleine bulle techno en bourse, beaucoup de gens se sont scandalisés. De nos jours, il n’est pas rare de voir un patron gagner autant d’argent en une heure que son commis ne le fera toute sa vie. À l’époque, de nombreux capitalistes, dont le deuxième homme le plus riche du monde, Warren Buffett, s’étaient insurgés contre cette pratique.

Une pratique immorale mais légale. Les lois du marché s’appliquent ici dans toute leur sauvage efficacité: les patrons de talent se font rares et sont devenus des vedettes médiatiques. Ils sont désormais hors de prix. Certains se sont illustrés par des faits d’armes qui ont honteusement enrichi les actionnaires des sociétés qu’ils dirigent. Accueillis en sauveurs pour «redresser» une compagnie chancelante, ils ont réussi leur pari notamment en coupant des emplois à la pelle. Après avoir jeté des milliers de personnes à la rue, ils empochent de juteuses «récompenses».

C’est un peu ce qui s’est passé avec les téléphonistes de Bell, il y a quelques années. Le géant des télécom avait «vendu» ses téléphonistes à une société américaine, qui avait imposé ses conditions de travail et échelles salariales… en forte baisse. Tout cela pour maximiser le rendement sur l’avoir des actionnaires. C’est probablement cela (et bien d’autres dossiers du genre) qui a scandalisé le cinéaste.

Bernard Émond est un gars engagé, qui dénonce souvent l’aplatventrisme et l’indifférence de ses contemporains face à des phénomènes de société absolument inacceptables. Mais il le fait avec doigté et subtilité. Il espère provoquer la réflexion. Il veut du changement en douceur, mais du changement réel. Qui part de vraies valeurs. Des valeurs qui ont souvent été larguées pendant la Révolution tranquille, il y a 40 ans. Résultat: le Québec se cherche une identité et des codes de vie. Il est incapable de s’imposer sur le plan politique. Il ne sait pas comment réagir face à l’immigration. Il traîne encore un vaste contingent de pauvres.

Bernard Émond est athée. Mais ses récents films tournent autour des valeurs chrétiennes. Il l’a souvent affirmé: ce n’est pas le catholicisme qui l’intéresse, mais l’aspect mystique de notre existence, la moralité, les valeurs basées sur le partage.

Ce sont ces valeurs qui sont au centre de son dernier film, Contre toute espérance. Une œuvre difficile, par moments presque insoutenable. Le film montre la petite vie sans histoire de Réjeanne (Guylaine Tremblay), téléphoniste de son état, et Gilles (Guy Jodoin), camionneur, qui réalisent leurs rêves simples. Ils finissent par s’acheter une vieille mais sympathique maison à Beloeil, avec vue imprenable sur le mont Saint-Hilaire. Ils mènent une vie tranquille. Jusqu’au drame.

Gilles subit deux accidents vasculaires cérébraux. Son parcours est celui d’un combattant. Il doit réapprendre à marcher et à parler. Mais il peine à trouver l’énergie pour se battre. Réjeanne, elle, ne baisse pas les bras. Elle s’occupe de son homme avec abnégation et amour. Mais elle perdra son emploi quand son patron, un capitaine d’industrie propriétaire d’un manoir à Westmount, sabrera les emplois de sa société pour «cause de mondialisation».

Impossible d’être insensible face à la descente aux enfers que vit ce couple sans histoire. Malgré l’aide sincère d’un ami de Gilles (Gildor Roy), le couple est incapable de joindre les deux bouts (financièrement et moralement). Il doit vendre la maison de ses rêves et multiplier les petits boulots. C’est la déchéance morale. On devine que ça va mal finir, car le film oscille entre des flash-back et des scènes au présent, où on voit une Réjeanne ensanglantée, prostrée et muette, interrogée par un policier.
Émond offre un film exceptionnel mais, je l’ai dit, très dur. Sa puissance évocatrice est toutefois mois forte qu’avec La Neuvaine. Parce que la déchéance du couple est si profonde qu’elle est désespérée. On peine à trouver l’espoir chez Réjeanne, alors qu’elle était possible avec la Jeanne de La Neuvaine.

Mais les derniers mots prononcés par Réjeanne charrient un message si fort qu’ils s’impriment longtemps dans votre mémoire. Impossible, d’ailleurs, de ne pas retenir le jeu inouï de Guylaine Tremblay et de Guy Jodoin. La première joue sans maquillage et, souvent, son simple regard est plus évocateur que les textes les mieux tournés. Jodoin, qui a côtoyé des aphasiques avant le tournage, incarne parfaitement cet homme diminué par la maladie. Émond met ces acteurs dans des décors souvent magnifiques, mais il a choisi de tourner ses images dans des éclairages sombres. Pour mieux amplifier le désespoir.

Au-delà des techniques de tournage et des performances d’acteur, le film brille par une qualité rare au cinéma: il s’attaque de bouleversante façon à un thème difficile mais essentiel, l’espoir, qui se nourrit, lui, d’une qualité qui manque souvent au sein de la race humaine, la solidarité.

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