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De la beauté du monde

Par stephane-desjardins

Soie

Je le dis tout net: je manque d’objectivité face à ce film. Car Soie, de François Girard, fut tourné en grande partie au Japon et en Italie. Deux pays que j’ai visités et adorés. Je suis donc incapable de me détacher de certaines images de ce film, qui me font rappeler mes propres pérégrinations.

Soie s’inspire d’un roman d’Alessandro Barrico qu’on disait impossible à adapter au cinéma. Girard a manifestement fait un travail admirable. Il en ressort une œuvre tout simplement superbe. Le cinéaste a fait des paysages, explorés ou habités par son personnage principal, un personnage à part entière du film.

Encore sur une note personnelle, les paysages nippons qui ont servi de décor à ce film m’ont rappelé ma propre épopée dans les Alpes japonaises: le Japon est un pays superbe hors de ses villes, qui sont d’affreuses mers de béton s’étendant à l’infinie (sauf pour les temples plusieurs fois centenaires, qui occupent parfois quelques pâtés de maison). Et le petit village français est en fait un lieu de tournage italien: son architecture médiévale me rappelle un petit bourg de la région de Monte Cassino, Colle San Magno, où j’ai séjourné dans le plus grand bonheur. Un endroit où le temps s’était arrêté il y a plusieurs siècles.

Ce genre d’atmosphère ressort parfaitement dans ce film qui est censé se dérouler il y a 150 ans. À une époque où les gens se déplaçaient en calèches, en train à vapeur et en voiliers. Le rythme de vie était beaucoup moins frénétique qu’aujourd’hui. Une sorte d’existence dans la lenteur et la permanence des choses.

Le jeune Hervé Joncour (Michael Pitt) quitte finalement l’armée, où il sert pour la plus grande gloire de son père, un notable d’un petit village du sud de la France. La vie de soldat lui déplaît. D’autant plus qu’il a le béguin pour une belle du village, Hélène (Keira Knightley). qu’il mariera grâce à l’influence de Baldabiou (Alfred Molina), un industriel un peu aventurier qui fait fortune grâce à ses trois filatures, qui font vivre le village. Mais Baldabiou frappe un mur. Une étrange maladie affecte ses vers à soie importés d’Afrique. Ceux de Turquie seraient également frappés. Il faut aller chercher d’autres vers à l’autre bout du monde. Au Japon. Un pays énigmatique et refermé sur lui même à l’époque. Un territoire féodal, secret, intrigant. Baldabiou y envoie donc Joncour à titre de marchand de vers à soie. Pour pouvoir se procurer les précieux vers, ce dernier traverse toute l’Asie centrale (il refait, en quelque sorte, la route de la soie à l’envers). Au travers des plaines kazakhes et sibériennes, jusqu’à Vladivostok. Un périple inouï.

Comme il est interdit aux étrangers de circuler hors des villes nippones, Joncour se fait passer pour un contrebandier. Ce qui rend son odyssée d’autant plus périlleuse. Ses contacts l’emmènent dans le fief d’un baron japonais (Hiroya Morita), qui admire la ténacité du jeune occidental. Joncour y croise le regard d’une concubine, Hara Jubei (Sei Ashina). Ce pur moment de grâce précipitera le jeune homme dans le malheur. Car cette femme deviendra son obsession.

Joncour adore Hélène, une femme qu’il chérit de tout son âme. Mais il ne peut se détacher de cette mystérieuse beauté orientale, qu’il croise à nouveau lors d’un deuxième voyage dans l’Empire du Soleil Levant.

Faisant fi des avertissements concernant la guerre qui ravage le Japon, il se rend une troisième fois là-bas dans l’espoir de revoir la belle. Ce voyage fou bouleverse son entourage. J’arrête ici, car je dois reconnaître que l’intrigue imaginée par Barrico, reprise par Girard, est assez bien menée. Et la chute, bouleversante.

Soie m’a beaucoup fait penser à cette discussion que j’ai eue avec Denys Arcand sur la beauté des femmes. Il avait été sidéré par celle de Jacqueline Bissett lors d’un dîner où il avait été invité, pendant le festival de Cannes. Assis juste devant l’actrice, il n’avait pu détacher son regard et ne se souvient que des bribes des conversations de ce dîner, entouré d’acteurs et de réalisateurs célèbres. Il avait même été inspiré par cette expérience pour imaginer son film Stardom.

Revenons à «Soie». Le film se présente donc comme une carte postale. Des images magnifiques, des paysages à couper le souffle, les chocs culturels sont livrés avec adresse, les personnages principaux sont tous très beaux. Girard offre un film très «arty». Mais il n’est pas le grand film qu’il aurait pu être.

Le rythme, lent, est ici un handicap plus qu’un atout. Pas que Soie soit ennuyeux. Il est juste trop éthéré par moments. Ce qui lui donne un peu un air à l’eau de rose. Je ne critique pas la maîtrise technique ni le jeu des comédiens. L’entreprise est menée de main de maître et se déguste avec bonheur. D’autant plus que Girard a eu la bonne idée de recruter le musicien Ryuichi Sakamoto (il a fait la musique de Merry Christmas Mr Lawrence), qui offre ici une bande sonore merveilleuse.

C’est juste que Michael Pitt ne parvient pas à livrer toutes les nuances que son rôle devrait exiger. Il semble parfois à côté de ses pompes. Trop doux pour un aventurier. Trop absent pour un homme traversé par la douleur amoureuse.

Cela dit, le film demeure un véritable moment de cinéma. Il serait dommage de le bouder pour de telles raisons. Car il présente tout de même une histoire fascinante. Et on ne peut s’empêcher d’être séduit par toutes ces images somptueuses et ces contrées lointaines, des points de vue géographique et temporel.

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