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Du crottin sous les bottes

Par Josée Pilotte

C’est souvent lors de nos sorties en forêt qu’on se raconte les petits riens du quotidien. C’est souvent lors de ces mêmes sorties qu’on se raconte aussi nos petites déceptions, nos appréhensions, nos peurs, nos bonheurs. La vie quoi!

Nous étions tous là dimanche dernier dans la forêt à skier et à profiter du bonheur qui passe. Nous étions chez Chris à Morin-Heights plus précisément. Chris a l’immense joie de partager son terrain avec les terres de la couronne, un vrai petit paradis sur terre. Il connaît chaque recoin, chaque arbre de cette immense forêt. Il est le Robin des bois nouvelle génération et il adore faire découvrir son coin de paradis à ceux qui s’y intéressent.

Malheureusement, ce n’est pas le cas de tout le monde. Encore cet automne, nous avons eu droit à un propriétaire furieux qui a placardé la forêt de panneaux d’interdiction, bloquant ainsi l’accès aux pistes légendaires de ski de fond. « Le monsieur », qui veut chasser en toute quiétude sur son terrain, a donc décidé que les baladeux du dimanche n’étaient plus les bienvenus. Qu’on se comprenne bien : je ne remets pas en cause son droit de chasser si la loi l’y autorise. Là j’ouvre une parenthèse : en 2016, avoir le droit de chasser dans des environnements habités, proches de la civilisation, c’est comme autoriser les mines à ciel ouvert dans des zones de villégiature de plus en plus fréquentées. Ces droits acquis sont arriérés, totalement dépassés. Fin de ma parenthèse.

Donc, pour revenir à nos baladeux, on s’entend-tu qu’on est loin d’une autoroute de monde qui passe par là, on est dans le fin fond de Morin-Heights. Et c’est pas non plus du monde qui passe en Skidoo, en quatre-roues. On parle de monde dont le seul bruit, la seule trace, c’est les pas dans la neige.

Siècle d’intolérance

Si vous voulez mon avis, le syndrome « pas dans ma cour » a ses limites : sous prétexte d’être chez soi, on met son cerveau à off, et son ego au max, on sort les baladeux du bois à coup de .22 (c’est le quotient intellectuel et non le calibre), histoire de cracher sa frustration envers la terre entière. C’est l’individualisme qui l’emporte sur le collectif, c’est le mal-être des uns qui atteint le bien-être des autres. Quoi de plus simple, de plus naturel, de plus inoffensif que de prendre une marche dans le bois! Voyons donc! On est rendus dans quel pays? À quelle époque?

C’est que, voyez-vous, j’ai une overdose des matamores de ce monde qui croient dur comme fer que tout tourne autour de leur nombril. Je trouve que notre monde bascule dans une immense marre d’intolérance et ça me désole profondément. On est tous bons à faire flasher notre bonheur sur Facebook, mais on n’est pas foutus d’aider notre prochain, on n’est pas foutus de céder le passage. C’est à vomir.

Je me dis que pour guérir du cynisme qui nous habite tous à différents degrés, il n’y a rien comme rencontrer des gens bien, des gens bons. Parce que ça existe encore, Dieu merci. Trop souvent, on laisse des zoufs égocentriques nous polluer l’existence alors qu’on oublie de faire la lumière sur des gens qui pensent plus loin que leur nombril.

Comme cette dame qui a un magnifique projet de redonner aux suivants par l’« équi-coaching », c’est-à-dire du coaching à l’aide des chevaux. Ça fait de vrais petits miracles, paraît-il. J’ai vu un reportage à ce sujet, c’est épatant de voir la relation qui se développe entre les êtres humains et les chevaux.

Il s’agit d’utiliser les capacités du cheval à percevoir nos réactions et nos ressentis, dans une démarche thérapeutique. Bref : son mari et elle ont acheté 35 acres à Morin-Heights et deux chevaux.

Jusque-là tout va bien. Elle a rencontré l’urbaniste de la municipalité afin de connaître la procédure à suivre pour faire changer l’usage de leur terrain. L’urbaniste l’informe que sa demande nécessitera une consultation publique. Il lui conseille toutefois de faire une petite tournée paroissiale afin d’informer son voisinage en vue d’accélérer le processus. Je dois préciser que son terrain se situe dans une impasse privée avec quelques voisins.

Coup de théâtre! Que pensez-vous qu’il est arrivé lors de sa tournée d’information? Il y en a un qui a décidé qu’il n’était pas question qu’un tel projet voie le jour, à côté de chez eux, on s’entend, avec une zone tampon de 35 acres! Avec le potentiel de deux consultations thérapeutiques par jour et un peu de crottin sur les 35 acres, eh bien le ‘tit monsieur a peur de perdre sa quiétude! Il veut la « paix »! Je n’invente rien, vous avez bien lu. On ne parle pas d’un circuit de Formule 1, d’une méga porcherie ou ce qui aurait pu arriver sur un tel terrain, un développement domiciliaire, laissant une empreinte écologique considérable. On parle de deux chevaux sur 35 acres dans le fin fond de nowhere!!

Il l’a même regardée drette dans les yeux et lui a balancé : « Je vais même faire une pétition pour m’assurer que ton projet ne passe pas! ».

Nos décisions nous appartiennent certes, mais ce genre de raisonnement ne fait que contribuer à notre cynisme. Il ne fait que nous emprisonner un peu plus dans notre individualisme, ne faisant plus de place à l’émerveillement, au beau de la vie.

Je sais c’est cucul, dit comme ça, mais je le pense vraiment. Je ne comprends plus cette étroitesse d’esprit, cette hargne, cette méchanceté gratuite de l’être humain.

Entre vous et moi, quoi de plus beau que la liberté (cette liberté que l’on cherche tous à obtenir) que représentent les chevaux dans un champ, que les traces des skieurs dans la neige, que le bruit des pas des baladeux dans une forêt de Morin-Heights un dimanche après-midi…?

Rien.

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