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Allo l'ami!

Par Josée Pilotte

Allo! Je peux-tu te déranger deux minutes? C’est gentil, merci, j’apprécie. J’aime te raconter mes trucs, tout ce qui me passe par la tête; remarque, on se connaît tellement depuis le temps que je suis à l’aise de te parler comme ça très spontanément.

(…)

En quoi ça consiste mon affaire? Ah, c’est que j’ai lu sur Facebook la semaine dernière un commentaire d’une amie qui est reliée de près dans le monde commercial de Saint-Sauveur et qui m’a fait réfléchir. Et j’aimerais savoir ce que tu en penses.

Ça disait en gros que la vue des locaux vides dans notre village était désolante. Moi je dirais plutôt affolante, mais bon, ça c’est moi. Bref: oui, ça disait que nous aurions tous intérêts à se manier les fesses et à acheter localement pour la survie du tissu commercial de nos villages. Ah! Toi aussi tu es d’accord?! Je suis contente de l’entendre. Oui, je sais, les loyers sont très chers, ça tue les petits commerçants, ça n’a comme pas d’allure cette affaire-là. Les taxes d’affaires? Chères, très chères, ça aussi ça n’a pas d’allure. Tu as raison, ça ne doit pas aider, c’est certain.

Mais toi, dis-moi, est-ce que tu achètes localement, dans ton village, genre? Ah! Je vois, pas toujours, hein? Oui, oui je comprends que les temps sont durs pour tout le monde, mais bon, si on ne fait pas tous un effort je me dis qu’on n’y arrivera jamais.

Tu trouves que je rêve en couleur? Peut-être. Tu trouves que je radote? T’as sûrement raison, mais je ne suis pas la seule à radoter je te ferais remarquer, car c’est pas mal toujours les mêmes préoccupations qui reviennent sur le tapis. Pis là, on dirait que ça ne va pas en s’arrangeant.

Ah, oui! Tu trouves que c’est pas de leur faute aux commerçants, c’est la faute à l’économie et au pessimisme ambiant? Oui ben, à écouter les commerçants, c’est comme écouter les agriculteurs: y’a jamais rien qui tourne rond et c’est toujours la faute aux autres. Non, non, j’exagère pas, ça fait 17 ans que j’entends la même rengaine.

Moi je pense plutôt qu’il faudrait qu’on se pose d’autres sortes de questions. Lesquelles? Genre: doit-on tout miser sur le tourisme? Genre: a-t-on besoin de 10 000 cafés? Genre: a-t-on besoin d’un Dollarama à l’entrée du village avec les deux banques qui font office de bouncer? Etc., etc.

On devrais-tu pas plutôt capitaliser sur la construction d’une identité forte et distinctive, on peux-tu juste faire ça?

Non, non, je ne suis pas pompée! Quoi je suis toute rouge?

Ben vois-tu, je suis tannée de tout ça, parce que je vois mon village crever à petit feu et que j’ai l’impression de me débattre comme le diable dans l’eau bénite. Tu penses que je prends ça trop à cœur? Peut-être, mais sinon quoi? Je devrais m’en foutre, pis sacrer mon camp? C’est pas vrai que je vais renoncer à dénoncer ce qui me fait mal. Je sais que j’ai l’air d’une vraie folle en te racontant tout ça, mais je suis en première ligne pour constater le marasme dans lequel on est. Pis je vais te dire franchement, on est dans un marasme intellectuel, oui in-te-llec-tuel, comme si on manquait de solutions, alors qu’on a tout pour réussir. Non, mais, tu vas être d’accord avec moi pour dire qu’on vit dans un endroit féérique, la preuve c’est que tu es là!

Ah! Je le savais que tu serais d’accord! Fiou!!!

Pourquoi je ne m’implique pas, que je fais ma smat de même à te parler? Ah ça, c’est une autre histoire, mais veux-tu vraiment que j’embarque sur la Chambre de commerce? Ouf!!! As-tu plusieurs heures à me consacrer?

Je rigole… Non, en fait je rigole pas pantoute…

Non, merde, franchement je vais te dire: on a vendu notre âme par manque de vision, n’en déplaise aux anciennes administrations municipales, voilà je te l’ai dit. C’est pas plus compliqué que ça.

Merci, ça me rassure que tu penses que je ne suis pas si dans le champ que ça.

Pis tu sais quoi? Je ne suis pas la seule en plus, regarde La Presse qui a fait un topo sur les Laurentides dans son cahier voyage de vendredi dernier. Qu’est-ce que ça racontait? Ben… je te résumerais ça comme ça: des commerçants qui chialent d’un bord et de l’autre, un village qui a misé sur sa communauté. Pis tu sais quoi? Le touriste est attiré par ce qui est authentique et en santé. Et pour être en santé, faut être bien dans sa peau. Et v’lan dans les dents!

Ça te fait sourire? Je sais je suis un peu trop passionnée. Okay, je respire… calmos la grande…

Tu sais, on pense que Saint-Sauveur c’est le nirvana, mais c’est juste une image et une image qui est déprimante ces jours-ci. Oui je sais, c’est rough comme discours, mais c’est la vérité et la vérité est parfois difficile à entendre.

Remarque que ce n’est pas propre à Saint-Sauveur mais ça ne nous dédouane pas de nos responsabilités comme citoyen, comme toi, comme moi, et de faire notre juste part. Non, non je ne t’accuse pas. Je discute, c’est tout.

Oui, oui, je sais que c’est aussi la responsabilité de la municipalité d’avoir une vision de communauté viable et en santé. Je sais tout ça, malheureusement.

Et puis contrairement à Val-David, je pense qu’on est à Saint-Sauveur pour les mauvaises raisons: les citoyens viennent là pour les taxes basses, les commerçants s’y installent pensant que c’est l’Eldorado et qu’ils vont y faire du cash, et les touristes viennent ici pensant y vivre une expérience authentique. Mais au final, tout le monde est déçu: les citoyens trouvent qu’il manque de vie communautaire et d’esprit d’appartenance. Le commerçant réalise que c’est loin de ses rêves et que le local ne le soutient pas pantoute. Que les taxes d’affaires sont débilement chères. Et le touriste, infidèle, lui, vient acheter son morceau en solde au «Factos», son cossin à un dollar et manger sa crème à glace avant de lever les feutres et de nous laisser dans notre beau village bucolique de décor de cinéma. Tiens, prends un mouchoir, c’est cadeau! 🙂

Ah j’oubliais, il vient aussi pour la Fiesta Cubana «Mister Crème à glace». Ça il aime ben, ben ça, se faire aller le popotin sur la place de l’église. Mais c’est pas avec lui qu’on va s’enrichir, hein?

Ah toi, tu aimes ça la lambada? Bon okay, je respecte ça.

Tu en as assez de m’entendre, j’te déprime?

C’est que j’ai pas fini, j’en aurais encore long à te dire sur le sujet. Oui, oui je comprends que tu as d’autres choses à faire.

(…)

Tu as changé d’idée, tu n’iras pas chez Costco cette semaine finalement? GOOD!!! On ne se sera pas rencontré pour rien.

Tu sais, on y trouve de tout dans notre beau village… même un ami!

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