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J’ai mangé de la vache enragée

Par Josée Pilotte

Il fut un temps, le mien, où l’art de se démarquer et faire partie d’une gang se résumait ainsi : Tu étais « preppy », ce qui voulait dire que tu portais un polo Lacoste ou Ralph Lauren le collet relevé et tu buvais une bière avec une paille pour paraître cool.
Ou bien tu étais « freak », ce qui voulait dire que tu portais une chemise de chasse et tu fumais des joints ou autre substances illicites. Il y avait aussi les « new wave », ceux qui tripaient sur The Cure, Depeche Mode et les autres, ceux qu’on appelait affectueusement les « nerds ». Je vous laisse donc le soin de deviner dans quelle catégorie je me retrouvais…
Et ce n’était pas compliqué à nos yeux : on était tous hétéros, du moins en apparence. Et tous ceux qui détonnaient trop du lot, eh bien, on les traitait de tapettes, de gros, et ce, sans se faire trop réprimander par les profs et les surveillants de l’école. Ça sonne peut-être monstrueux dans nos oreilles sensibles d’aujourd’hui, mais c’était comme ça.
C’était simple, vous ne trouvez pas ?
Bon, je ne vous dis pas que nous n’avons pas eu à débroussailler quelques petites fêlures de notre enfance chez le psy par la suite, mais bon, disons plutôt pour résumer l’affaire que la complexité des genres, ce n’était pas une grande préoccupation de mon époque.
Je vous raconte tout ça parce qu’avec mon ado de 16 ans, j’ai les deux pieds dans un autre monde et parfois je ne vous cache pas que j’en perds carrément mon latin.
Ceci dit, je les trouve beaux, plus ouverts sur le monde, plus tolérants aussi, mais il me semble que leurs « relations », elles, sont beaucoup plus compliquées que dans mon temps.
Aujourd’hui, les « preppy » sont simplement remplacés par les « hipsters », les « freak » par les « emo » (prononcez en français : I-mo) ou les « vedges » et les « new wave » par… les « new wave » d’aujourd’hui et les « nerds » par les « geek ». Ajoutez à cela les genres : hétéro, homo, bisexuel, transsexuel, et tous les autres, ceux qui ne veulent pas qu’on les catalogue et que l’on nomme, queer. Voilà l’heureux cocktail.
Ah oui, j’oubliais : pour ajouter une couche, ils sont « vegan ». Et croyez-le ou non, ils ne sont pas l’image stéréotypée que l’on se fait du granola des années 60 aux odeurs de patchouli vivant dans un Westfalia. Non, le « vegan » d’aujourd’hui aurait plutôt entre 15 et 34 ans et choisit de se nourrir sans viande. Un choix éthiquement responsable.
Est-ce une mode ?
Est-ce la popularité des régimes des célébrités qui influence le comportement des jeunes ? Ou bien simplement un mouvement social qui valorise un style de vie sain ? Allez savoir ! Chose certaine, il n’est pas rare de nos jours d’entendre un jeune de 15 ans dire qu’il est « vegan ».
D’ailleurs, à ce sujet, l’ami de mon fils m’a expliqué que ça lui tapait sur les nerfs ce mouvement et m’a posé cette question :
Toi, Josée, es-tu obligée de manger comme ça ?
– Comme ça, tu veux dire quoi au juste ?
Ben, manger comme tu manges, des graines, des légumes, pas de viande, faire attention à ceci, à cela….
– Je ne suis pas obligée, non, c’est un choix, un mode de vie, suite à une prise de conscience que j’ai d’ailleurs faite à ton âge.
– En tout cas, moi, je suis plus capable d’entendre les filles dire qu’elles sont « vegan ».
– Ah ouin, pourquoi ?
– Parce que je trouve qu’elles se cherchent un style pour se démarquer.
– Ah d’accord, mais moi, je suis pas contre ça, au contraire.
– Oui, le seul problème que je vois c’est que pour elles, être « vegan », c’est au même niveau que choisir la nouvelle couleur à la mode de vernis à ongles.
Je pense que cette réflexion mérite d’être poussée jusqu’au bout. Est-ce out de manger de la viande ? La réponse est oui. Sachant tout ce qu’on sait aujourd’hui, preuves à l’appui, que la viande est néfaste pour la santé, l’environnement et les animaux eux-mêmes, et qu’on continue pareil d’en ingurgiter. Sachant que les lobbies de la viande et de l’agro-industrie sont aussi puissants que ceux du tabac à une certaine époque, on ne peut que louer la démarche de nos jeunes, aussi superficielle soit-elle.
Bref, que dit-on à un jeune qui voit le « vegan » comme une mode et non comme un mode de vie ou une prise de position (statement) sociétale ?
On ne peut que lui rappeler l’importance de cette prise de conscience et l’empreinte écologique que nous laissons sur la Terre.
Souhaitons que ce mouvement identitaire soit véritablement incarné et aille au-delà d’un polo Lacoste de mon temps ou d’une couleur de vernis à ongles d’aujourd’hui. Histoire d’avoir un peu de viande autour de l’os, lors d’un prochain débat.

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