Jocelyne Robert. Photo : Laurence Labat
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La crise d’octobre dans l’oeil de Jocelyne Robert

Par antoine-gascon

50 ans après

La crise d’Octobre en 1970 est identifiée comme le point culminant d’une époque « sombre » de l’histoire du Québec, lors de laquelle l’enlèvement et la mort du vice-premier ministre Pierre Laporte avait secoué toute la province. 50 ans plus tard, on souhaite non seulement se souvenir, mais aussi éclairer l’histoire. Par l’entremise de leur mémoire, de leurs intérêts ou encore de leurs liens familiaux, Jocelyne Robert, Flavie Payette-Renouf et Félix Rose cherchent à contextualiser la crise d’Octobre. Ils plongent dans des recherches exhaustives ou replongent dans leurs souvenirs pour dépeindre le portrait d’une crise, mais aussi d’une époque, et pour réfléchir à cette période qui, 50 ans plus tard, polarise toujours autant.

Âgée aujourd’hui de 72 ans, Jocelyne Robert en avait 22 lors de la crise d’Octobre. Cinq jours après la mise en place de la Loi sur les mesures de guerre, elle est arrêtée et détenue sans accusation pendant 24 heures. Enceinte de 7 mois, elle subit un examen gynécologique dans sa cellule. Elle n’appartient pourtant pas au Front de libération du Québec (FLQ) et n’a rien à voir avec les enlèvements. Ce dont elle est coupable? D’avoir connu les frères Rose et Francis Simard durant sa jeunesse.

En 2017, elle publiait « Éclats de femme » qui raconte ce que très peu de gens connaissent, c’est-à-dire l’avant et l’après-crise vues de l’intérieur. Ces jours-ci, l’intérêt envers son livre est ravivé à l’occasion du 50e des évènements. Pour l’auteure, il s’agit du moment opportun pour éclairer l’histoire, autrement.

Des êtres humains et des amis

« Pourquoi étais-je si mal de les avoir connus et aimés lorsque, autour de moi, on les désignait comme des tueurs? », se questionne-t-elle dans son livre, à la suite de l’arrestation de ses camarades de jeunesse, Paul, Jacques et Francis. Fou-gueuse et déterminée, Jocelyne Robert milite très tôt pour l’indépendance du Québec au Rassemblement pour l’indépendance Nationale (RIN), puis au Parti Québécois (PQ). Elle rencontre alors Francis Simard et les frères Rose qu’elle côtoiera de 1967 à 1970, à travers une lutte commune, solidaire et pacifique. « Pendant ces quatre années, j’ai bien connu les êtres humains qu’ils étaient », souligne-t-elle.

Par l’entremise de l’écriture, elle souhaitait donc mettre en lumière la facette méconnue de l’époque et de ses acteurs. « Ce n’était pas des gars fondamentalement violents. Paul Rose, c’était un grand sensible. » Elle sentait le besoin de mettre en perspective les évènements et d’élargir les perceptions. « Il fallait que je le raconte, ne serait-ce que pour replacer un peu la crise d’Octobre dans un contexte plus global et humain. »

La Maison du Pêcheur

En mai 1969, Jocelyne Robert et ses camarades s’établissent à Percé dans une cabane au bord de la mer : La Maison du Pêcheur, aujourd’hui devenue un restaurant réputé de la région. La jeune femme alors âgée de 20 ans y restera jusqu’à la fin du mois de juillet. Elle quitte à la suite d’un épisode violent au cours duquel les autorités arrosent les occupants avec des boyaux d’incendie pour les forcer à quitter l’endroit.

Jocelyne Robert fait donc partie des 10 signataires du bail – 2 filles et 8 garçons – incluant les frères Rose et Francis Simard. « La parité des sexes n’était pas à la mode. L’histoire a oublié qu’il y avait aussi des filles à l’origine de la Maison du Pêcheur. Elle a aussi omis de parler de sa composante humaine », écrit l’auteure dans son ouvrage. 

En effet, elle dément et rectifie certaines suppositions alimentées à l’époque, selon lesquelles le groupe n’était qu’une « gang de drogués » et de « bordéliques » qui suscitait l’hostilité des Gaspésiens. Jocelyne Robert se remémore au contraire l’endroit comme ayant été un lieu de fraternité, de solidarité et de rassemblement, inscrit dans une période florissante, collective et motivante. « C’était un rêve! D’une certaine façon, c’était assez romanesque. Tu es au bord de la mer, tu es un groupe de jeunes et tu fraternises! » Elle se rappelle le café, les parties d’échec, les soupers bondés, la morue apportée par les pêcheurs et les spectacles. « Bien sûr que nous avions des idées politiques, que nous voulions sensibiliser les Gaspésiens, du haut de notre jeunesse, qu’ils étaient exploités. Mais c’était un lieu bon enfant ».

Le point de bascule

Quelques mois après Percé, un regain de vie et d’espoir se fait sentir chez les troupes à l’occasion des élections provinciales du printemps 1970. La flamme politique ravivée, Jocelyne Robert retrouve ses compagnons militants dans le but de faire élire un député indépendantiste dans le comté de Taillon. Finalement, c’est le libéral Guy Leduc qui est réélu. Le Parti québécois ne fait élire que 7 députés et René Lévesque est défait dans sa propre circonscription. L’auteure décrit cet épisode comme ayant été la « déception suprême » et le « point de bascule » vers la clandestinité. Elle croit en effet que c’est à la suite de ce dénouement, qu’une partie du groupe a perdu confiance envers les voies démocratiques. De son côté, l’écrivaine s’éloigne, tombe enceinte et les perd de vue. Elle n’a plus entendu parler de François, Paul ou Jacques, jusqu’aux évènements d’octobre 70.

La crise d’Octobre en 4 dates importantes

5 octobre : La cellule de Libération du FLQ enlève James Cross, délégué commercial britannique à Montréal.

10 octobre : La cellule Chénier du FLQ, composée de Paul Rose, Jacques Rose, Francis Simard et Bernard Lortie, enlève Pierre Laporte, vice-premier ministre du Québec.

16 octobre : À la demande du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal, le gouvernement fédéral met en place la Loi sur les mesures de guerre.

17 octobre : Le cadavre de Pierre Laporte est découvert dans le coffre d’une voiture près de l’aéroport Saint-Hubert.

Source : L’encyclopédie canadienne

24 heures en prison

À partir du 16 octobre, près de 500 personnes seront alors arrêtées et détenues sans accusations, dont Jocelyne Robert, qui avait aussi subi deux perquisitions à son domicile avant son arrestation. Enceinte de 7 mois, elle est détenue pendant 24 heures dans des conditions exécrables, et durant lesquelles elle passera 9 heures en interrogatoire ; un traumatisme qui changera sa vie. « Subir un examen gynécologique dans une cellule de prison quand tu n’es coupable de rien, c’est une grande violence. »

Suite à cet épisode, Jocelyne Robert raconte que pendant plusieurs mois, elle appréhendait ses sorties à l’extérieur, craignait de marcher dans la rue, par peur qu’on lui tire dessus. Lors de son arrestation, on lui avait fait comprendre que son nom était sur une liste des personnes qu’il ne fallait pas laisser s’échapper. « Ça signifie que nous pourrions vous abattre si vous tentiez de fuir », lui avait-on dit.

« Des traumatismes comme ça, ça mérite des excuses »

Aujourd’hui, Jocelyne Robert estime qu’il est grand temps pour Ottawa de présenter ses excuses pour avoir promulgué la Loi sur les mesures de guerre. « Demander des excuses au nom de 500 personnes emprisonnées pour rien dans un pays démocratique, c’est la moindre des choses ». Plusieurs personnes lui demandent ce que ça changerait. « Éclairer l’histoire. On reconnaîtrait enfin que cela a été une erreur. »

L’ancienne militante, maintenant devenue sexologue, regrette comme tous la mort d’un homme. Elle précise qu’elle n’excuse en aucun cas la violence et ne la supporte pas. Mais il demeure important de ne pas se limiter qu’à cet épisode tragique pour définir l’époque. « Je ne dis pas qu’il y a une seule grande vérité, mais je dis qu’à force que chaque personne, humblement et individuellement, montre sa perception, explique ce qu’elle a vécu, expose sa vérité, nous allons peut-être finir par avoir une image de ce qu’il s’est réellement passé. »

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2 Comments

  1. Denis Beaulé

    J’ai côtoyé la fille de Mme Robert aux études à l’université (p’t’être était-ce d’elle qu’elle était enceinte en octobre 1970?). Du super bien bon monde cette madame Robert. Plutôt consternant, donc, de constater qu’on ait pu ainsi apostropher, malmener, rudoyer, pour ne pas dire ‘kidnapper’ aussi cavalièrement et inconsidérément des personnes qui étaient en réalité d’insignes modèles humains ou de société, des gens exemplaires inspirants. La moindre des choses ne serait-elle pas alors qu’on s’en excuse au moins, aujourd’hui, à tous niveaux – fédéral, provincial, municipal, police?

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  2. marcel larocque

    bravo bonne chances je vous appuis dans vos demandes

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