VIEILLIR, C’EST LA PROCESSION DES DEUILS

Diane Baignée, collaboration spéciale – Après le deuil en rapport à la perte d’un être cher, cette fois, c’est au deuil des fonctions physiologiques et du patrimoine que l’on s’intéresse. Pas tellement réjouissant, je sais!
Monter dans le train qui nous mène au déclin avancé de l’autonomie, peut-on en débarquer, misère? Mais lorsque ça se présente, nous voilà confrontés à transiger avec de nombreux deuils, un par un, souvent plusieurs de front. Ces dégénérescences physiques et cognitives subissent le même sort que ces deuils liés à la perte d’une personne. De plus, et en cours de route, il faudra se départir de son patrimoine. C’est donc la procession des deuils!

Des « t’as-mal-où? »

Vieillir consiste donc à faire face au ralentissement des fonctions cellulaire, cognitive, sensorielle et diminution des systèmes immunitaire, endocrinien et « alouette ». Ça s’étiole progressivement ou bien ça arrive comme un coup de vent du large qui nous décoiffe.
Arthrose et rhumatisme, fracture de la hanche, glaucome, maladie de Parkinson… Le lexique gériatrique est étoffé en la matière. Des bobos mineurs ou graves, dégénératifs, chroniques qui paralysent l’exécution des tâches de la vie quotidienne.
Avez-vous croisé, dans les corridors de résidences pour aînés, des gens qui se confient sur leurs « t’as-mal-où »? C’est l’un des sujets les plus communs. Pourquoi? Parce que ces maux sont certes la préoccupation de l’heure lorsqu’il devient impossible de se réaliser comme avant. Faire le deuil des commandes du véhicule humain, c’est difficile à digérer. De plus, les problèmes de santé occupent la pensée quand la douleur, pour sa part, ne prend pas de vacances.
Colère, déni, tristesse, dépression et des « je-ne-suis-plus-capable », eh bien, c’est l’isolement qui s’installe. Combien de fois ai-je entendu l’expression de frustrations relativement à ce type de pertes. De l’extérieur, nous avons tendance à être irrités devant ce discours si fataliste. Quoi qu’il en soit, en dessous de complaintes, il y a des renoncements en gestation. Ne plus être performant, habile, comme avant. Les personnes ayant été très autonomes au cours de leur vie seront les plus affectées. Quand survient une perte définitive, la perspective des choses change aussi.
Et, plus tard, certains aînés n’auront d’autre choix que d’habiter ailleurs par besoin de soins et d’aide constants. Que dire lorsqu’arrive le moment de mettre à la poubelle ou de donner des souvenirs cumulés au fil des ans? Certaines personnes âgées sont soudées à leurs biens. Et quand il n’est plus possible de vaquer à ses activités habituelles dans son quartier de toujours, n’est-ce pas en quelque sorte renoncer à ses références et à son histoire? Deuil, encore un deuil. Indulgence!
J’encourage le « vivre au moment présent ». Mais quand l’arthrose vous saisit et que vous ne pouvez plus dévisser vos pots de confiture, vous faire la barbe, ouvrir la porte du four ou vous pencher pour prendre votre casserole en bas, au fond de l’armoire, et ce, sans recours ni rémission… Exaspération! Là certains me disent : « Oui, c’est vraiment frustrant ».
Quoiqu’il soit possible de modifier son processus de vieillissement en adoptant de saines habitudes de vie, eh bien, n’oublions pas que l’espérance de vie est plus longue, les maladies liées à l’âge sont plus nombreuses, force des choses, et qu’incontestablement, cela s’accompagne d’une période de deuil plus étalée aussi.
Dans ces situations, la résilience est certainement la voie du salut. Mais il est d’autant plus important de se centrer sur les petits bonheurs de l’existence, les plaisirs quotidiens, regarder la moitié du pot qui est plein et s’entourer des gens avec qui on se sent à l’aise. Car des divertissements et discussions agréables agissent comme un baume et permettent aux bobos et leur douleur de se reposer un peu de notre attention.
Diane Baignée est travailleuse sociale en pratique privée.
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