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Le samouraï

Par Josée Pilotte

Depuis quelques mois, j’ai un nouveau voisin. Quand je dis voisin, c’est vite dit puisqu’une forêt nous sépare.

Je ne peux donc dire à quoi il ressemble vraiment.

Pourtant, depuis son arrivée, chaque matin, j’entends au loin une brise musicale s’élever et, comme par magie, chanter les arbres.  

J’avoue d’abord avoir été surprise. Du haut de ma montagne au fin fond de Morin-Heights, à part quelques cris rauques de geais bleus et parfois les cris stridents d’un harfang des neiges, il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure, dans ce cocon ouaté où la terreur du monde ne peut nous atteindre.

La curiosité s’est donc emparée de moi un beau matin et j’ai finalement brisé l’isolement qui nous séparait pour aller voir ce qui se cachait derrière cette forêt. Et, pas à pas, presque hypocritement, je me suis approchée de cette voix venue de nulle part.

Arrivée au bord du lac, je l’ai vu, lui, cet homme au bout de son quai, fendre l’air de ses gestes précis et lents. Une sorte de danse au ralenti avec soi-même, j’imagine. Comme observatrice, le spectacle était parfait. J’avais sous les yeux un vieux samouraï pratiquant son tai-chi tout en chantant ce qui me semblait être un hymne à la vie. (OK, pour les malins, je sais qu’un samouraï est japonais et que le tai-chi se pratique par les Chinois. Mais j’écris ce que je veux, c’est mon texte!)

Cette rencontre d’une personne qui m’est étrangère vous semble peut-être anecdotique, mais depuis les attentats de Paris, je cherche désespérément les mots, un sens à l’absurdité des événements et à la laideur humaine sur cette terre. Et depuis, je n’ai pas de réponse satisfaisante aux milliers de questions qui tourbillonnent dans ma tête. Alors, je m’abstiens. Je m’abstiens de ne pas tomber dans des lignes de pensées trop faciles. Je m’abstiens d’essayer d’en ajouter une couche supplémentaire.

Je suis profondément troublée, voire confuse, tant que je n’arrive pas à saisir si je ressens la tristesse, la colère ou le désespoir. Mais je présume que c’est un grand mélange des trois.  

Et puis, on essaye tant bien que mal de trouver un coupable. Pour donner du sens à tout ça. Mais à quoi bon en trouver un : ne sommes-nous pas tous coupables un peu au fond?! Je n’en sais rien pour tout vous dire.  

Essayer de comprendre ces fêlés, ces fous d’Allah qui —  armés de leur kalachnikov — ont su viser le cœur même de la démocratie française, c’est une émotion d’incompréhension trop grande pour moi. Et leur haine est trop grande pour mettre des mots sur des maux trop lourds de conséquences. Enfin, je crois…  

Il me vient simplement ceci à l’esprit quand je pense à l’avenir de mes fils : sommes-nous allés trop loin dans l’ignorance de l’autre?

Vivons-nous dans un tel individualisme, sommes-nous devenus si aveugles pour nous croire à l’abri de la barbarie? Poser la question, c’est y répondre.

Paris, c’est aussi nous, Québécois que nous sommes. Cette image de liberté, cette liberté d’être que semblent tant détester les fanatiques religieux.  

Mais Paris c’est aussi des milliers de visages aux couleurs différentes qui se croisent chaque jour sous la tour Eiffel, dans ses rues et ses cafés. Paris, c’est nous tous. Blancs, Noirs, Jaunes, métissés que nous sommes. Paris c’est Allah, c’est Bouddha, c’est Dieu. Paris, c’est le cœur même de l’humanité.

25 000 Syriens arriveront chez nous d’ici Noël. C’est-à-dire demain. Or cette arrivée massive d’immigrants qui ont fui leur pays qui vit une guerre civile, se fait dans un contexte mondiale bouleversé par les derniers événements tragiques.

Comme pays d’accueil, nous avons le devoir de bien les accueillir mais aussi la responsabilité d’établir des règles d’intégration claires selon nos valeurs.

Et ce ne sont pas les propos haineux voire racistes, basés sur des préjugés, qui vont mettre la table à une intégration harmonieuse, base d’un vivre ensemble.

On oublie facilement d’où on vient. Il fut un temps — pas si lointain — où nous avions été, nous aussi, des immigrants débarquant sur une terre promise, remplis d’espoir d’une vie meilleure.

Nous avions l’air étranges aux yeux des autochtones, imaginez. Aussi étranges qu’un samouraï fendant l’air de sa mélopée et de ses gestes précis. Au bord d’un lac de Morin-Heights. Quelque part sur terre.

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