Je les aime
Par Mimi Legault
L’autre jour, je me suis retrouvée derrière un couple âgé qui se tenait par la main. Était-ce par amour? Ou par peur que l’un des deux ne chute? Était-ce les deux raisons à la fois? Au fond, ils ne marchaient pas. Ils trottaient à tout petits pas. Ils semblaient se parler à voix basse comme si eux seuls connaissaient leurs secrets.
Puis, ils se sont assis en face de notre majestueuse église de Saint-Sauveur. Mais cela aurait pu tout aussi bien être devant la cathédrale de Saint-Jérôme. Ils sont partout ces vieux-là que j’aime tant. Curieuse comme je le suis, je me suis arrangée pour être le plus près d’eux sans toutefois entrer dans leur bulle. Ils avaient des gestes de porcelaine et le regard qu’ils s’échangeaient était rempli de bienveillance et je dirais de reconnaissance. Dans le style : non, mais, on est donc chanceux d’être encore vivants tous les deux ensemble.
Tiens, elle vient de lui chuchoter à l’oreille quelques mots qui le font éclater de rire. Leurs rides ne leur font plus un pli, ce sont plutôt des sillons sur leurs joues; des moments de joie qui ont creusé leur peau devenue translucide. Madame porte un chapeau de paille fleuri qui lui va à ravir. Elle a son air d’éternité qui lui va si bien. Lui porte fièrement une casquette des Canadiens de Montréal. Tout à coup, il décide de la porter comme les ados, la palette en arrière. La voilà qui rit et son rire éclate en milliers d’étoiles qui montent vers le ciel.
Vous me trouvez trop roudoudou? Trop sensible? Trop faux poète? Peut-être. Mais ce genre de court épisode de ma vie me remplit à la fois d’amertume et d’espérance. Vous aimez les histoires? C’est du moins ce que je lis dans vos courriels. En voici une.
Un matin en pleine tempête de neige, l’une de mes amies attendait l’autobus. À quelques mètres de l’arrêt, elle aperçoit, stoïque dans un tourbillon de flocons, un couple âgé. Quand le bus arrive, au lieu de s’arrêter à leur hauteur, le couple se met à gesticuler à l’adresse du chauffeur qui se contente de répondre par un klaxon et un signe de la main. Outrée par ce manque d’égard, mon amie en fait la remarque au jeune conducteur qui lui répond : ce sont mes parents, dit-il en souriant. Je débute aujourd’hui sur cette ligne, ils sont venus me souhaiter bonne chance.
Dans un tout ordre d’idée, ce qui vient davantage me chercher, c’est le manque de mémoire qui attaque de plus en plus de personnes âgées. Une deuxième histoire à ce sujet.
Un vieux couple au fond de leur cours berçait et berçait leurs illusions quand soudain l’homme dit à sa femme :
– Je vais aller me chercher un bol de crème glacée, tu en veux un?
– Oui, mais une boule seulement avec un peu de sirop au chocolat. Tu ferais mieux de l’écrire, tu oublies tout.
–Ne t’inquiète pas, je vais m’en souvenir. Donc, une boule plus du sirop.
–C’est ça et ajoute un peu de noix. Tu vas bien t’en rappeler?
–Pas de problème.
–
Et pour finir, mets une cerise sur le dessus. Je suis certaine que tu vas oublier quelque chose.
–Mais non, Mariette.
Pendant les vingt minutes suivantes, elle l’imagine s’affairer dans la cuisine. Et quand il revient, c’est avec des œufs et du bacon…
–Je te l’avais bien dit qu’il fallait l’écrire, dit-elle exaspérée. Tu n’en fais qu’à ta tête, tu as oublié les toasts!
N’oublions pas nos parents surtout s’ils sont seuls. Une mère, un père, un couple. Il y en a qui attendent la mort comme seule porte de sortie. Comme disait Stanislas Lee : Le ciel! Quel dommage qu’on ne puisse y aller qu’en corbillard.
Lors d’un enterrement, sur une pierre tombale, j’ai lu ces mots : comme je voudrais t’avoir avec moi. Ce qu’il y a de réconfortant, c’est qu’un jour, son souhait sera réalisé…