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Le bâillon?

Par Éric-Olivier Dallard

Dans ce qui peut paraître à première vue une tentative de censure ou d’intimidation à certains observateurs (dont beaucoup de blogueurs), la Ville de Saint-Adèle cherche à restreindre les activités de deux blogueurs, dont les propos semblent connaître un fort succès depuis un moment sur internet (voir notre texte aux pages 6 et 7).

J’ai publié il y a quelques années, dans un ouvrage collectif d’universitaires, un chapitre intitulé «L’émergence de la déontologie journalistique dans la sphère des nouveaux médias» (titre du livre, publié sous la direction de Patrick J. Brunet: **Ethique et Internet**, collection «Éthique et philosophie de la communication», Presses de l’Université Laval, 2002)… un bon somnifère, mais qui avait l’avantage de poser les questions justes: Doit-on appliquer au journalisme sur internet les mêmes règles que celles qui encadrent le journalisme traditionnel (presse écrite et presse électronique)? Et comment définir ce qu’est un contenu journalistique dans les nouveaux médias?

La question se posera de façon criante dans peu de temps. Preuve en est d’ailleurs la résonance «nationale» que prend actuellement cette affaire de Sainte-Adèle dans les médias nationaux..

Le principe du «blogue» est intéressant, et il emprunte à la philosophie qui sous-tendait l’existence du Net à ses débuts: une liberté totale d’intervention, un libre partage de l’information. Le blogueur («carnetier») parle quotidiennement de sujets qui le touchent, en lien ou non avec un thème récurrent. Puis les lecteurs sont appelés à réagir, et ces réactions sont visibles au public.

Je respecte et admire infiniment le travail d’André Bérard, l’un des deux blogueurs visés par la mise en demeure de la Ville de Sainte-Adèle, sur son «Blogue-Notes»; ce travail, la façon dont M. Bérard le mène, est passionné et passionnant, sérieux et attachant, intéressant dans sa livraison, réfléchi dans son propos. Voilà quelqu’un qui présente là, à mon sens, un véritable travail de réflexion sur le quotidien adèlois. Voilà quelqu’un qui sait **regarder** et **raconter**. Voilà quelqu’un qui cherche à comprendre.

Voyez le problème: à force que soient publiées spontanément chacune des réactions (souvent en chaîne) que provoquent les propos de M. Bérard – sans discrimination – et si chacun peut intervenir, écrire et donner de l’ampleur à la moindre rumeur, tout cela ne finit-il pas par déconsidérer l’ensemble du travail (formidable) accompli par ce blogue?

La liberté d’expression (et sa soeur, la liberté de la presse, qui permet à la première de prendre tout son sens) est l’une des premières valeurs auxquelles j’adhère. J’en ai fait mon métier. Quand on menace de s’en prendre à elles, cela peut me rendre malade (presque au sens physique d’ailleurs). Mais à trop en abuser (ou plutôt à en laisser abuser par d’autres, ces fameux «intervenants anonymes»), de cette liberté, dans un travail qui présente de grande similitudes avec le journalisme dans sa rigueur et sa présentation, ne risque-t-il pas un jour de la vider (toujours cette liberté de presse) de sa signification, d’en restreindre considérablement la portée? Ou bien, au contraire, lui appliquer une conception large, non restrictive, lui permettra-t-il de donner sa pleine mesure?

Beaucoup d’autres questions se posent sur la liberté de presse, et ici même, dans les Laurentides; des questions qui devraient interpeller les personnalités publiques et les citoyens. J’y reviendrai bientôt.

André Arthur, maintenant député fédéral, quand il animait ses lignes ouvertes, aimait faire remarquer: «Ensemble, on sait tout.» Reste à savoir qui compose le «ensemble».

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