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L’écho du Silence

Par Éric-Olivier Dallard

L’écho du Silenc

«Allongé là, j’entends distinctement battre les ailes de l’ange de la mort. Je réussirai peut-être à lui échapper, mais je dois avouer que mes jambes ne courent pas aussi vite que je le souhaiterais. Je pense donc que le temps est venu de dire une chose ou deux au responsable de ma maladie actuelle. Vous réussirez sans doute à me réduire au silence, mais ce silence aura un prix.»

Ces mots sont ceux de quelqu’un qui

n’a pas couru «aussi vite » qu’il le souhaitait, et que l’on a effectivement, «réduit

au silence». Ils sont ceux d’Alexandre Litvinenko, ancien agent du KGB réfugié à Londres, mort empoisonné au polonium 210, en novembre 2006.

Ses mots sont rapportés par Alex Goldfard et Marina Litvinenko, sa veuve, dans Meurtre d’un dissident (Robert Laffont, 2007).

Le prix du «silence» auquel «on» a réduit Litvinenko? L’écho de son histoire, porté par les médias: son meurtre est devenu une affaire d’État, a fait le tour du monde, a mis en lumière, notamment, le risque de dérapages de cette jeune «démocratie» (??) qu’est la Russie, avec Vladimir Poutine, passé du KGB à la tête de l’État, un passage pas tout-à-fait réussi.

Un prix lourd pour les dictatures, celui d’une vérité que l’on voulait garder cachée, mais qui éclate en même temps que les cervelles. Comme pour le meurtre de la journaliste russe Anna Politkovskaia qui travaillait à faire la lumière sur les exactions du Kremlin commises en Tchéchénie. Comme pour celui de la photojournaliste Zahra Kazemi, en Iran.

Et enfin comme pour Benazir Bhutto, au Pakistan, entre le Noël chrétien et le premier de l’An, assassinée à l’endroit même où le fut aussi un autre leader quelques années plus tôt…

Des morts symboliques, qui transforment les «martyrs» en figures emblématiques des combats qu’ils menaient; et fait du journalisme un révélateur essentiel.
«C’est nul» / «C’est génial»…

C’est n’importe quoi…

Prendre, c’est selon, le ton exalté de l’ascète à qui Dieu-soi-même-en-personne vient d’apparaître: «C’est gé-ni-al!!!»; ou bien la voix traînante de l’ado faussement blasé devant la dernière version du jeu vidéo Guitar Hero III: «C’est nuuuuul…» Vous maîtrisez le ton? Et bien bravo, vous voilà critique!

J’ai vu L’Âge des ténèbres durant les Fêtes. Ce que j’en ai retenu? La connerie critique, d’un côté comme de l’autre de l’Océan. Des prépubères quadragénaires, mon-père-plus-fort, décrivant: dans le coin droit, les Français décriant «Un film de vieux con»; de l’autre, les Québécois, Martineau en tête, célébrant «Ce film est un chef-d’œuvre». Hey!, on se réveille un peu, on grandit; le dernier Arcand n’est ni l’un ni l’autre. Un film honnête, c’est tout. Un film entre gris-clair et gris-foncé; si l’on veut un mélange aigre entre une certaine anthologie cynique de la «bureaucrassie» ambiante et un ramassis de clichés de chauffeurs de taxi sur le même sujet. Ni un grand film, ni un navet. Entre Le Déclin et Bon Cop, quoi.

Tout ce plat autour de L’Âge des ténèbres, ces jugements à l’emporte-pièce, noirs ou blancs, sans les demi-teintes où se terre pourtant (presque) toujours la vérité, m’a permis de me souvenir ce qui m’a écoeuré du journalime culturel, que j’ai pourtant pratiqué une dizaine d’années, dont quelques-unes seulement, les premières seulement, avec passion: ce putain de système binaire du jugement. Une classe maternelle de journalisme.

Tout est dans le superlatif.

Tout est dans l’euphémisme.

Tout ce que tu adores.

Tout ce que j’abhorre.

Mais quand je vois que le grand Journalisme se fait l’écho porteur du silence de certaines morts, donnant leur pleine signification à ce que furent leurs vies; que grâce à cet écho une certaine idée de la démocratie trace sa route, je me souviens aussi pourquoi j’ai choisi cette Famille.

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