Rien
Par Josée Pilotte
Dieu passe chaque matin devant ma porte, j’aime à le croire.
Car je suis vraiment intriguée à la vue d’un vieil homme marchant devant chez moi, son chapelet à la main droite, bravant les folies de Dame nature. À quoi peut-il penser, pour quel dieu travaille-t-il? J’aime penser que c’est un sage-homme.
Si je vous raconte ça, c’est que cette semaine l’envie de tout plaquer m’a traversé l’esprit. Je me voyais partir pour l’Inde; je la trouve très intrigante, elle aussi. Je suis persuadée que l’homme et dieu s’y côtoient familièrement dans la rue, c’est peut-être cliché, mais c’est ainsi. Une sorte de quête spiriturelle? Non. En fait, je ne sais pas ce que je vais aller y chercher mais je sais que j’y trouverai quelque chose de précieux, ne serait-ce que de nouvelles avenues, de nouvelles façons d’exorciser certaines de mes peurs, d’en repousser mes limites, de faire valser mon destin… Voilà ce que je crois qu’elle ferait, l’Inde, sur moi.
Si je vous raconte ça, c’est que l’envie me reprend chaque fois que je prends des vacances, qui suspendent le temps: j’essaie de me convaincre que je suis libre, libre de faire ce que je veux.
Mais, entre vous et moi, les vacances ne sont-elles pas faites pour ça, rêver? La vie défile tellement vite quand on travaille, qu’elle ne laisse plus place au rêve.
Rêver… Se mettre le cerveau à «off», ne le rallumer qu’au bout de deux semaines…
Rien faire. Vous savez?
Rien faire comme dans «r-i-e-n».
Rien faire. Se taper une rangée de films français, simplement en suivant l’ordre alphabétique des réalisateurs. Quelle joie, j’vous raconte pas!
Rien faire. Laisser le cadran programmé pour sonner à six heures, juste pour le trip de «snoozer» jusqu’à onze heures. La totale!
Rien faire. Bouffer des «fruits loops», les rouges en premier, en parcourant la liste des ingrédients, sur la boîte, sans se sentir coupable. Grisant.
Rien faire. Attaquer les livres que tu t’étais promis de ne jamais lire, comme eux en «jaquette», tout un après midi. Jouissif!
Rien faire. Écouter Grégory Charles plutôt que Renaud qui, avec ses «bourgeois-bohèmes», dont il se moque gentilment (chanson Les bobos), me renvoit l’image que je projette le reste de l’année. Je vous donne un aperçu:
Sont un peu artistes c’est déjà ça
Mais leur passion c’est leur boulot
Dans l’informatique, les médias
Sont fiers d’payer beaucoup d’impôts
Ils fument un joint de temps en temps,
Font leurs courses dans les marchés bios
Roulent en 4X4
(…)
Ils aiment les restos japonais et le cinéma coréen
(…)
Ils fréquentent beaucoup les musées,
Les galeries d’art, les vieux bistrots
En écoutant Manu Chao
Ma plume est un peu assassine
Pour ces gens que je n’aime pas trop
Par certains côtés, j’imagine…
Que j’fais aussi partie du lot
On est pathétiques, présentés comme ça, hein? Finalement, j’ai peut-être besoin de plus de vacances que je n’en ai pris, afin de m’éloigner de ce portrait… un tantinet déséquilibré.
Y m’énarve!
Pis toi mon Rédac’, tu fais aussi «partie du lot»?
Je viens de lire ton papier «Le pire (La merde de l’année)».
T’es pas tanné de te prendre la tête comme un intello-chiant-qui-fait-chier? Un critiqueux du dimanche, un prêcheur moraliste intégriste qui pense que l’art c’est juste dans les films en v.o. soustitrée? Pas envie de te mettre le cerveau au congélo une fois de temps en temps?
Get a life pour l’amour du ciel!
Parce que moi, ton Éditrice, j’ai aimé ça Bon Cop Bad Cop.
Populaire? Oui.
De l’art? Aussi.
De l’Art avec un grand A? Non, bien sûr, mais rien pour prendre trois colonnes dans mon journal. Tu dénonçais «l’insoutenale légerté de l’être» en décembre (titre que d’ailleurs t’as piqué à Kundera). Sois plus léger, parfois, ça fait du bien tu verras.
Ne fais rien un moment. Comme dans «r-i-e-n».
Et je te souhaite un sage à ta porte tous les matins, son chapelet à la main droite.