DANS LA PEAU DE JAMAL MALIK
Par Journal Accès
Sous la patte d’Omalley par Christian Genest
On a tous une ou deux tounes quétaines assumées … ou pas. À juste titre, tout comme Daniel Lavoie s’époumonait dans l’apothéose de sa suffisance «je n’avais jamais vu Deeeeeelhi». New et Old Delhi, curry à toutes les sauces, marché aux épices, rickshaws, religions, pollution : cette ville a le visage souillé, l’âme chaotique et le refrain pessimiste.
Bien sûr, vous pouvez vous y évader en vous tapant un Bollywood à Connaught Place. Mais voulant comprendre, sentir, goûter, vivre ce coin de pays en dehors de la caméra d’un touriste, j’ai contacté une ONG afin de visiter un slum, tout près de Shadipur.
J’avais déjà visité une favela en périphérie de Rio il y a quelques années. Ce fût «shocking», mais très «roots» sur la culture brésilienne.
Je vous entends … mais pourquoi donc visiter un slum? Pourquoi s’introduire dans l’intimité, la pauvreté, la déchéance? Une façon de se “grounder” à l’essentiel, de se sentir choyé d’être né au Canada, d’arrêter de se plaindre le ventre rempli au Costco, vous penserez peut-être. Pire encore, de faire son blanc-bec les poches pleines devant les castes emprisonnées dans ce zoo? Hummmm voyons … D’abord les faits, ensuite peut-être j’y formulerai une meilleure question.
Je m’étais promis pas de photo, simplement celles que l’on garde au coeur pendant longtemps, les vraies, celles que l’on berce, qui sont difficiles à verbaliser. Sentir une certaine responsabilité ou sympathie envers le ou les sujets pris en clichés n’a rien d’un débat existentiel, mais plutôt de premier niveau. Pass over … pour cette fois.
Laxmi, que j’ai surnommée affectueusement Mère Térèsa, nous accueille avec un air perturbé à la sortie d’une bouche de métro, ce qui ne l’empêche pas de me serrer la main avec aplomb. Nous sommes quatre ce jour-là, ou plutôt cette semaine-là. Laxmi est une belle dame, vêtue d’une très jolie robe de soie rouge. Dans le tintamarre «circulation-bouffe-de-rue-prières», elle nous fait signe de la suivre à pied sans trop élaborer.
Notez ici que j’ai une aversion totale envers le design indien en général, incluant les saris et autres pashminas.
À quelques pas de là, nous entrons dans SON ghetto, là où elle se fond à travers les charmeurs de serpents, acrobates, musiciens, danseurs et artistes de tout acabit. Cette colonie tient son nom de l’art traditionnel Rajasthan de marionnettiste, dont le fondateur en avait le métier: Kathpuli.
Vous pensiez que je vous parlerais du système d’eau volé amené par des tuyaux à jardins? Des seulement 10% qui ont des installations sanitaires … donc, que la bouette que vous sentez en marchant … hummm? Du haut taux de propagation du sida au sein de la communauté? Des maisons de cartons et de tissus qui croulent sous les ordures? Naaaaaaah.
Sur le toit de la case de Pavit, des enfants dansent le Waka Waka au rythme de l’harmonica et rendent à la perfection « Give me Sunshine ».
À l’école des femmes, on y apprend les métiers-beauté : Dalaja, 13 ans, apprend la coiffure 3 heures par jour, pendant que ses 2 enfants… oui, ses enfants, sont à la garderie communautaire, par hasard durant l’heure du lunch… fourni.
Aux toilettes publiques, les fakirs discutent avec les dompteurs de singes afin d’éviter la prière, alors que nous sommes du côté musulman. Nirad se présente, me serre la main et, de son grand sourire, m’emprunte mes « shades » en me demandant: « pic Sir, picture », et « show me, show me » Son miroir du mois … et il se trouve beau!
Les artisans tannent de la peau de chèvre sur des « drums » en s’enfilant une baboche locale. On se croirait chez Salvail! Et by the way, ici, contrairement à Delhi, personne ne quémande quoi que ce soit de manière tranchante.
Une mère chauffe un mélange inconnu sur un feu de bois au centre de sa Prakanara, pendant que ses 8 enfants se douchent avec un vieux contenant de crème glacée. Notre guide Laxmi prend les mains d’une ado par-ci, flatte la bédaine d’une trop jeune par-là, gronde un ado dans une ruelle, et surtout, distribue les câlins. Un souriant nu-pieds me fait signe de le regarder/photographier pendant qu’il avale un sabre … dois-je lui tendre un 20 roupies? Pas du tout, c’est une invitation à un spectacle demain soir!
Ai-je senti de la pitié? J-a-m-a-i-s .
Notre dernier arrêt se fait à l’école de rang où une dame fait la classe à des jeunes de 5 à 14 ans, et ce, 100% en anglais. Les élèves tiennent à nous réciter plusieurs chansons pédagogiques: ABCD … EFG … et ainsi de suite. C’est la fête, ils chantent à s’époumoner, ils dansent jusqu’à nous prendre la main. Une ado m’enfile même son foulard au visage en m’enfilant un clin d’oeil moqueur. Bien que notre départ retarde de chanson en chanson, les jeunes supplient Laksi en tournoyant comme des petites pestes. Sans comprendre le dialecte, je pige qu’elle a dit oui et que c’est l’euphorie.
– Laksi what did you ackowledge at school?
– Take the kids out for pic-nic tomorrow, it’s been a full week of class, it’s a miracle.
– Is that right? Please let me treat them for such sharing moments?
… malaise mais sourire acquiesçant!
Et tsé … amenez-les en «rickshaw», dressez une nappe, jouez de la musique, achetez un festin et ne leur dites pas que c’est Maroon Five ( mon surnom semble-t-il ).
Jamais je n’ai vu autant de couleurs, senti autant de joie légère, vécu une telle chaleur sans langage, never. Je suis encore bouleversé, et le mot est faible. Je suis soufflé, chaviré.
J’ai mariné cette chronique un bon moment pour finir par la «peinturer» à 4h du mat et pas dû au jetlag … j’avais encore le coeur en chamade.
Finalement, encore la maudite gratitude, non pas dans la face, mais en plein cœur. Nous avons tous en commun une chose : la poursuite du bonheur … et si certaines gens étaient pas mal plus doués? That is the question.
Namaste.
Le Delhi Development Authority (DDA) a comme objectif de nettoyer ce qu’ils surnomment ces “jhuggi jhopri clusters” et tente en vain d’offrir un HLM tout neuf aux artistes de Kathpuli. Ceux-ci se sont tenus debout devant les quelque 900 autres « slums » de Delhi.