Cours d’économie familiale
Par Josée Pilotte
Quand je débarque lundi à l’école de mon fils, Lucas, je comprends tout de suite que l’heure est grave. Soit il vient de se faire coller un billet orange pour mauvaise conduite, soit il vient de rencontrer en chair et en os son ami imaginaire en jouant au ballon-chasseur (ça se joue-tu encore le ballon chasseur dans les cours d’école?!)
Chose certaine, son comportement survolté n’est pas seulement dû à la température inquiétante qui plane sur le ciel d’octobre. Quelle chose de plus inquiétant, le dérange, le trouble comme un compte à rebours avant l’explosion.
«Mon dieu Lou, viens-tu de voir ton ombre?»
« Han?! Quoi?… Mamaaaan….»
Ne pouvant se retenir une minute de plus, il se lance tête première dans un avalange de mots. Je n’attends que les mots, quilleton, activités parascolaires et trente-cinq piastres.
«Comment ça tu t’es pas occupé de ramasser tes sous pour tes activités parascolaires? Si tu n’es pas à ton affaire mon vieux, ce n’est pas des miennes, tu t’expliqueras avec ta professeur. Un point c’est tout. Moi, je donne pas une cenne!» (j’voulais juste qu’il réalise l’importance de s’impliquer et d’être responsable…).
J’eus droit cette fois à une baboune en règle et, entre deux moues bien senties, à quelques oui-mais-maman-tu-comprends-pas…
Ce que je comprends en tous cas, c’est qu’on se targue d’un système d’éducation publique gratuit et accessible à tous. Ce que je comprends c’est que l’éducation est obligatoire au Québec quand on a huit ans. Ce que je ne comprends pas, en revanche, c’est que les enfants doivent quêter pour avoir accès à des activités éducatives. Ce que je ne comprends pas non plus, c’est comment font les parents d’un petit Lou qui prend pour acquis (pas besoin de faire du parte-à-porte!) que ses parents vont lui cracher trente-cinq piastres pour des activités parascolaires sans poser de questions et surtout sans efforts.
«… tu ne comprends pas, maman, que je ne pourrais pas aller à mon activité mercredi si je n’ai pas trente-cinq dollars. Trente-cinq. Mi-ni-mum…»
Je reste perplexe, ne voulant céder au chantage émotif de mon fils. Je vaque à mes occupations, Chéri appelle de son congrès à Québec… Lou qui vilvolte autour de moi, qui insiste pour parler à son père:
«J’veux parler à papa c’est vraiment important!»
Le passe donc. Lou s’envole dans sa chambre loin de moi qui retourne à ma vaisselle. Eus le temps de deux chaudrons, une brassée de lavage, un tour de balai avant qu’il ne plane jusqu’à moi et y atterrir fasse cette injonction. Sans appel:
– Papa dit qu’il faut que-tu-me-le-donnes. AB-SO-LU-MENT. Le trente-cinq piasss…tres…»
– (…)
Après un silence fatigué et toujours vêtue de mon vieux pyjama bleu à nuages blancs, je suis sur la route avec fiston, tôt mercredi matin, afin de passer au guichet automatique.
«J’te donne deux vingts Lou; tu dois me remettre cinq dollars, ok?»
– (…)
«Tu comprends? Tu demandes à ta professeure de te remettre cinq piastres.»
– (…)
«Okay, écoute moi bien Lou: quarante moins trente-cinq, ça fait quoi?»
– Ben cinq.
« Parfait donc, elle te rend cinq dollars que tu me remettras ce soir.
– Je comprends pas comment tu me l’expliques maman… Elle peut pas. Elle peut pas déchirer un 20 dollars en deux….
– (!?!?!)
Imaginez vous donc, qu’après m’être souciée du sort des écoles publiques et des moins fortunés qui n’ont pas les moyens de passer comme ça «sur le fly» au guichet automatique, faute de moyens – et parce que leurs kids n’ont pas penser à harceler tout le voisinage pour ramasser «au moins trente-cinq pias… tres» – pour se faire éduquer, imaginez-vous donc qu’après cette réflexion socio-pédagogique, alors que je lui demandais comment avait été sa journée, il me lance à la figure à son retour d’école:
«Tiens ton cinq dollars. Pis Maxime lui là, y’a amené 500$ pour le quilleton. Et Sean-Edward lui, y’a eu 250$ de son père et 250$ de sa mère.»
Je me croyais au bout de mes peines avec l’éducation obligatoire et gratuite de l’école publique. V’là-tu pas que le «p’tit torieux» réclame encore autre chose:
«Il faut que j’aille AB-SO-LU-MENT une lampe de poche demain pour mon activité de lecture….»
– VA VOIR TON PÈRE!