Passer le fil ’arrivée
Par Josée Pilotte
C’est fait. Nous y sommes arrivé.
Nous avons franchi le fil d’arrivée presque main dans la main, je dirais même presque dans une même foulée. Nous avions été depuis des mois partenaires d’entraînement et finir ainsi côte-à-côte, presque en symbiose, fut un moment mémorable pour elle comme pour moi. Bûcher sans relâche pendant des mois, courir des dizaines de kilomètres par semaine, blessure pas blessure, beau temps mauvais temps: la récompense de tout cela, franchir le fil d’arrivée, est ce sentiment… comment dire?… un-petit-pas-pour-la-sportive-un grand-pas-pour-la-femme!
Oui, je dirais que c’est ça: un pas de plus vers un soi, un peu plus… Soi!
Difficile de décrire le feeling que l’on ressent; c’est comme un gros, vraiment gros «high», un «high» meilleur que toutes les drogues, que toutes les brosses adolescentes, aussi bon que le sexe. Et je ne vous ai pas parlé des préliminaires: un parcours féerique au pied des Alpes françaises, une foule en délire qui encourage joyeusement… «allez, allez, les Canadiennes!!!», un regard, un sourire de ma partenaire Joyce me disant que tout est okay, qu’on va y arriver. Seules parmi des milliers de marathoniens en sueur, en douleur, minuscule troupeau face à l’immensité d’un décor de carte postale. C’était carrément magique. J’ai même vu un homme de plus de 70 ans franchir sous la barre des quatre heures le marathon! Vous dire l’émotion que j’ai ressentie devant toute cette volonté que cet exploit suppose… j’en ai eu les larmes aux yeux.
FACE à l’immensité? Non, plutôt À NOTRE PLACE dans l’immensité. Parce qu’Annecy, il faut que je vous dise, tout y est fait pour que tous (les joggeux, les rouleux, les cycleux, les poussetteux, les marcheux et les marchetteux, les vieux et les voitureux), tous cohabitent, se respectent dans ce paysage urbain taillé sur mesure dans l’environnement.
Tu peux rouler, marcher, jogger en toute sécurité parce qu’il y a eu une vraie volonté, une véritable «vision» de la part des élus pour faire de cette cohabitation une partie intégrante de la «carte de visite» de l’endroit. Ça en devient un mode de vie, un état d’esprit qui imprègne tous les lecteurs de Tintin, «de 7 à 77 ans».
Ce fut tellement inspirant que je me suis posé la question suivante: mais pourquoi diable «EUX» y arrivent, et nous pas? Pourquoi ici, chez nous, il n’y a pas cette volonté de faire de notre environnement un environnement accessible?? Pourquoi ici, sur nos routes, dans nos rues, nous – ceux qui marchent, ceux qui courent, ceux qui pédalent – nous sentons-nous exclus du décor???
Pourquoi détonnons-nous sur les chemins, pourquoi jurons-nous dans le paysage?!
Car ici c’est carrément la guerre pour ton morceau asphalte!
Il me semble que si j’étais une politicienne des Laurentides, j’aimerais marquer mon époque en laissant en héritage le partage des espaces entre les usagers motorisés et les autres, en léguant une impulsion qui vise à favoriser l’intégration d’un mode vie sain et écologique pour des générations à venir. Faire de nos villages des lieux invitants et inspirants mais, surtout, sécurisants pour ceux qui décident d’employer un moyen transport autre que l’auto.
Il me semble que si j’étais une politicienne des Laurentides j’aimerais passer à l’Histoire pour avoir réalisé cela… plutôt que pour une piscine!
Il me semble que si j’étais politicienne des Laurentides vivant dans un décor aussi féerique que le nôtre, j’aimais montrer l’exemple en venant travailler en vélo, avec ma petite jupe fleurie, sans me faire tuer.
Mais.
Peut-être que nos politiciens actuels devraient venir sillonner nos routes à vélo afin de comprendre que ça n’a aucun sens. Peut-être que nos politiciens devraient se mettre au jogging pour comprendre que l’inhospitalité des lieux fait peur, qu’elle peut même tuer. Nos routes sont dans un tel état – sales, mal entretenues, crevassées, défoncées – qu’elles devaient presque être interdites. Un moment d’égarement à contempler le paysage et… tu prends le décor! Merde!, on ne vit pas (encore) sur le boulevard Taschereau, non?!