Les rois du colmatage

Par Frédérique David

Sur la route parsemée de cônes orange, on remarque que de nombreux chantiers concernent la réfection de viaducs. Il aura fallu que survienne une tragédie à Laval pour qu’on réalise que nos infrastructures routières sont en très mauvais état. L’écroulement du viaduc du Souvenir, qui portait tristement bien son nom, avait fait cinq morts. C’était en juin 2000! Deux décennies plus tard, on est encore en train de colmater des années de négligence !

On « patche » encore

Force est de constater que l’entretien, ce n’est pas notre force au Québec. On l’a encore vu avec les écoles. Leur décrépitude a fait l’objet de nombreux reportages au printemps. Selon l’indicateur du gouvernement, 61% sont en mauvais état. Les trous dans les murs et les fenêtres qui n’ouvrent plus font partie du décor. Certaines écoles ont eu le droit à une cure de rajeunissement cet été. Des enseignantes en poste depuis plus de vingt ans m’ont confié que c’était la première fois qu’on repeignait les murs de leur classe! Le jaune moutarde et le bleu poudre a eu le temps de voir passer plusieurs générations d’enfants d’une même famille! Elles n’osent même pas espérer l’air climatisé et préfèrent acheter des meubles avec leur budget personnel pour offrir un environnement inspirant à leurs élèves !

Je me demande souvent pourquoi on est à ce point mauvais dans l’entretien au Québec. Il ne viendrait à l’idée de personne de laisser sa maison se détériorer de la sorte. On le sait que si le bardeau de notre toiture n’est pas refait tous les 20 ou 30 ans, c’est toute la structure en bois qui devra être refaite. On sait aussi que l’environnement d’apprentissage favorise l’apprentissage et la motivation des élèves. C’était d’ailleurs la mission du Lab-École, ce vaste projet très coûteux (106 M$) du gouvernement Couillard qui aura permis la construction ou l’agrandissement de six écoles laboratoires dans la province pendant que toutes les autres se contentent de quelques « patchages ».

Prévenir plutôt que guérir

Souvent, je me dis qu’une société qui se contente de mettre des pansements sur les bobos et ne parvient pas à faire de l’entretien et de la prévention ne peut pas bien aller. Ce qui arrive avec les infrastructures au Québec est le reflet de ce qui arrive en santé. La prévention, ça n’existe plus ! Vous aurez plus de chance de trouver une garderie pour votre enfant qu’un pédiatre pour le suivre s’il est en bonne santé ! Désormais, on va chez le médecin quand on est malade, pas pour un examen de routine !

Le seul programme de dépistage que l’on peut applaudir au Québec est celui sur le cancer du sein, mis en place en 1998, qui invite les Québécoises âgées de 50 à 69 ans à passer une mammographie tous les deux ans. Tous les autres programmes de dépistages concernent des personnes à risque moyen ou élevé. L’organisme Cancer colorectal Canada déplore d’ailleurs l’absence de dépistage systématique de ce cancer, comme c’est le cas dans la plupart des provinces canadiennes. Il s’agit d’un des cancers les plus meurtriers, mais le programme de dépistage tarde à se mettre en place en raison de retards technologiques ! Plus de 2250 personnes meurent chaque année des suites d’un cancer du côlon au Québec. Combien, parmi elles, auraient pu être dépistées à un stade précoce et guérir avec un programme de dépistage systématique ?

Au pied du mur

Le constat est le même dans de nombreux domaines de la société. On n’a qu’à penser au logement social. Depuis combien de décennies réclame-t-on du logement abordable dans les Laurentides ? Aujourd’hui, on est au pied du mur parce qu’on n’a pas écouté les organismes qui viennent en aide aux plus démunis, parce qu’on n’a pas agi en prévention.

Récemment, Pierre Lavoie et Jean-François Harvey, kinésiologue, ostéopathe et conférencier ont publié un livre intitulé Faut que ça bouge ! dans lequel ils évoquent une « crise de l’inactivité physique » au Québec. Les jeunes sont devant des écrans et une récente étude de l’Université de Sherbrooke nous révèle que depuis les années 1980, leur capacité cardio-vasculaire s’est détériorée. Les paliers qu’ils atteignent au fameux test du bip sont 30 % moins élevés et les jeunes de 17 ans ont pris 7 kg. Que fera-t-on pour éviter les problèmes de santé annoncés par ces données ?

On est les rois du colmatage et les drames qui s’ensuivent sont nombreux. Parfois, ce sont des morts. Combien pourraient être évitées avec des programmes visant à prévenir ou à dépister ? Des programmes qui, bien souvent, coûtent moins cher que ce qu’il en coûte quand on ne fait que panser les bobos ou colmater les fissures.

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